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« Le double enjeu de l’IA : une révolution dans l’art de la guerre et un potentiel bouleversement de l’ordre mondial » (2/2)

Konikowski. J et al., Science politique, Paris, 2021, 82 p.

Il est important, notent les auteurs, de se pencher sur les budgets que chaque puissance accorde à la recherche et au développement dans le secteur militaire, et plus particulièrement aux dépenses liées à l’IA. Les États-Unis, première puissance militaire mondiale depuis la fin de la Guerre froide, « sont tout naturellement la nation qui investit le plus dans sa défense. Avec un budget annuel officiel de 718,3 milliards de dollars en 2020, dont 927 millions dédiés à l’IA, le secteur militaire est le deuxième sur la liste des investissements étatiques ». En parallèle, la Chine déclare officiellement « avoir adopté un budget de 183,5 milliards de dollars pour le secteur militaire en 2020, dont 70 millions réservés à l’IA ».

La Chine reste ainsi, le plus gros concurrent des Etats-Unis en termes d’investissement militaire. Car, « tandis que le budget militaire chinois s’est vu augmenté de 14 % pour arriver à 209,2 milliards de dollars, le budget étatsunien a chuté de 1,8 % pour un total de 705,4 milliards de dollars, dont 841 millions pour l’IA (une baisse de 9,2 % comparé à 2020) ».

L’aspect sur lequel les États-Unis suivent l’exemple de la Chine est le recrutement de talents. Ayant constaté « l’attractivité du pays asiatique pour les chercheurs occidentaux et plus particulièrement américains, le Pentagone s’est empressé de faire de la formation et de la conservation des experts nationaux sur le territoire américain, une priorité. Par ailleurs, ils essaieraient aussi de limiter leur collaboration avec des chercheurs de nationalité chinoise, afin d’éviter la transmission d’informations à Pékin ».

La stratégie de R&D des États-Unis dans la course à l’IA militaire repose donc principalement sur la peur d’être rattrapés par le concurrent chinois. A la rivalité idéologique et économique qui opposait déjà les deux Etats, s’ajoute désormais une concurrence dans la recherche et le développement de l’IA dans le cadre militaire.

Contrairement aux États-Unis et à la Chine qui se placent en tête de la course à l’IA, l’Europe et la Russie sont légèrement en retard sur son développement.

L’Union européenne possède le troisième plus gros budget militaire au monde après les Etats-Unis et la Chine. Il est trois fois et demi supérieur à celui de la Russie (246,3 milliards de dollars contre 69,2 milliards). L’UE estime « qu’une meilleure coopération entre ses Etats membres permettrait de rationaliser les dépenses. Cependant, il n’existe actuellement aucune politique militaire commune en Europe. Un budget est attribué à certaines industries mais il n’y a pas d’application sur le terrain ou de stratégie à proprement parler ».

Quant à la Russie, elle a approuvé en 2019, la Stratégie nationale de développement de l’intelligence artificielle, avec des objectifs qui s’étendent jusqu’à 2030. Le gouvernement russe a débloqué 2 milliards de dollars grâce à une levée de fonds d’investisseurs étrangers. Ces fonds « sont destinés à la recherche, mais également à la formation dans le domaine. Il souhaite garantir aux chercheurs russes un accès aux ressources et aux informations nécessaires au développement de l’IA ».

Il est donc tout à fait légitime de s’attendre à ce que « l’apparition graduelle des armes utilisant l’IA dans les guerres d’aujourd’hui contribue encore davantage au bouleversement de la notion conventionnelle de guerre et il nous semble raisonnable de tenter d’anticiper ces changements ».

Car, « l’IA pose beaucoup de questions qui renversent plusieurs piliers des guerres conventionnelles. En effet, si l’on considère la possibilité dans un futur proche d’une guerre uniquement faite par des machines, peut-on s’attendre à voir la létalité humaine disparaître au front, au profit d’un simple duel technologique ? Ou bien doit-on redouter la perspective de combats inégaux entre armée humaine et armée entièrement robotisée ? ». L’introduction de systèmes d’armes autonomes représente un bouleversement dans le domaine militaire.

Le gain de temps et d'efficacité, couplé avec l’accélération des analyses de données en masse, pourrait également avoir un impact stratégique. « L’analyse d’une situation et d’un problème, la modélisation des différents scénarios possibles, et le choix de la solution face à une situation complexe, pourrait être un processus ne prenant que quelques heures, sinon quelques minutes. La vitesse d’exécution des algorithmes pouvant traiter et analyser immédiatement les données reçues va dicter le rythme d’exécution de certaines tâches ».

Disposer d’une supériorité informationnelle constante sur l’adversaire « donnera l’avantage de pouvoir agir et réagir plus rapidement aux événements. Le rythme des opérations sera ainsi dicté par le camp qui possédera l’IA la plus performante.

Or, avec tous les avantages que présente l’intégration de l’IA dans la guerre, deux dangers risquent de faire surface : le premier serait de tomber dans la systématisation de la guerre. En effet, « si l’Homme, remplacé par la machine, ne prend plus aucun risque et peut opérer entièrement à distance, déclencher des guerres pourrait devenir une solution systématique. Il y aurait ainsi une banalisation de la guerre qui ne jouerait plus le rôle de dernier recours lors de l’escalade d’un conflit ».

Le deuxième danger qui surgit avec les compétences accrues de l’IA est l’accélération de la guerre.

Rubrique « Lu Pour Vous »

24 avril 2025

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