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« Le bouleversement du monde : l’après 7 octobre » (2/2)

Gilles Kippel, Ed. Plon, Paris, 2024, 102 p.

Pour l’auteur, « l’ampleur inouïe du coup infligé à Israël à l’aube du samedi 7 octobre, a bouleversé les lignes de force régionales antérieurement figées par les accords d’Abraham, signés à la fin du mandat de Donald Trump, pendant l’été 2020. Son successeur à la Maison-Blanche n’avait pas remis en question leur logique, alors que celle-ci alimenterait un blocage dont allait résulter la frustration qui préparerait le terrain à la razzia du Hamas ».

Le 7 octobre était aussi un revers majeur pour l’hégémonie américaine au Moyen-Orient. Il a été interprété comme un succès pour l’«axe de la résistance» à l’État hébreu et à l’Occident qui soutient la légitimité de ce dernier.

Mais, le déclenchement de l’offensive du Hamas pose, estime l’auteur, des questions qui demeurent irrésolues. On a imputé cette attaque à « une décision exclusive du leadership politico-militaire de l’organisation à Gaza, et de Yahya Sinwar en particulier, en posant comme postulat que ce dernier n’en aurait référé explicitement ni à ses mentors de la République islamique ni à ses parrains du Hezbollah libanais et chiite… ».

Le Hamas « a contracté une alliance politique et militaire d’opportunité avec la théocratie duodécimaine iranienne, mais ne voue pas à celle-ci l’allégeance spirituelle absolue qui lie les Libanais du Parti de Dieu ou les milices irakiennes de la Mobilisation populaire au Guide de la révolution islamique Ali Khamenei ».

Passé l’euphorie des lendemains de l’offensive, « malgré la gloire symbolique d’une razzia comparable à celle du Prophète sur l’oasis juive de Khaybar en l’an 628, et l’infliction à Israël du premier pogrom depuis les exactions nazies, les effets pervers sont manifestes, tant au détriment du mouvement islamiste palestinien que de Téhéran et de ses alliés. Les bombardements israéliens en rétorsion sur Gaza ont, certes, suscité un mouvement de solidarité mondial avec les dizaines de milliers de victimes dans les campus et les banlieues musulmanes d’Occident ».

Le Hamas a été accusé, notamment par son rival, l’OLP, « d’avoir mal calculé le contrecoup catastrophique pour les habitants de l’enclave, qu’il a pris en otage de son extrémisme irresponsable, et d’en partager la culpabilité avec l’État hébreu. Ce débat s’inscrit dans l’affrontement politique entre Palestiniens pour l’après, et sa validité ne vaudra que rétrospectivement, selon qui l’emportera et sera en mesure d’écrire l’histoire ».

La diplomatie américaine a mobilisé toutes ses ressources…Elle a fait exercer des pressions sur l’Égypte et le Qatar afin de les amener à menacer le Hamas de représailles « s’il ne concrétisait pas l’intérêt manifesté initialement pour s’engager dans ce processus ».

Entre temps, le Premier ministre mena une double action militaire. « D’une part, la poursuite des bombardements ciblés et la recherche des otages à Gaza, destinées à exercer une telle tension sur l’enclave que le mouvement islamiste serait contraint de négocier en situation défavorable. De l’autre, l’annonce des préparatifs d’une offensive militaire imminente contre le Hezbollah au Liban, en vue de neutraliser ses capacités de nuisances et de porter un coup décisif à l’axe de la résistance ».

Israël œuvre pour que tout processus de trêve puisse s’effectuer en position de force, et non de faiblesse. Netanyahou affirmait ainsi « qu’il avait bien l’intention de faire prévaloir sa propre survie politique sur celle du président américain candidat à sa réélection ».

Mais le « Déluge d’al-Aqsa » est parvenu aussi à fracturer bien davantage l’hégémonie occidentale, et cela à deux niveaux. « Tout d’abord, l’attaque a détruit de manière exemplaire le mythe de l’invincibilité israélienne, position avancée de l’Ouest au Moyen-Orient, rendant l’espoir aux jihadistes du monde entier, après qu’Al-Qaïda puis Daech avaient été vaincus. Ensuite, en provoquant l’État hébreu dirigé par Benyamin Netanyahou à répliquer par l’hécatombe de près de 40 000 Palestiniens à Gaza, civils pour la plupart, le Hamas a suscité, par-delà les seuls sympathisants jihadistes, voire islamistes, un gigantesque mouvement de solidarité internationale avec ces victimes, obnubilant dans la foulée la monstruosité du carnage du 7 Octobre ».

Cela s’est traduit par une conséquence principale : « la disqualification des fondements moraux de l’ordre planétaire établi en 1945 sur le rejet du génocide des juifs par les nazis, puisque l’État d’Israël, édifié comme havre pour les survivants de la Shoah, était désormais incriminé devant la justice internationale pour l’holocauste des Palestiniens de Gaza. L’Occident, garant des institutions mondiales de 1945, s’en trouvait révoqué dans son magistère et son leadership, et ses valeurs, démocratie incluse, dénoncées comme une idéologie servant de masque à l’oppression de la planète ».

Les événements du 7 Octobre et leurs suites ont ainsi « précipité un bouleversement du monde, qui pousse ses racines dans la longue durée d’une histoire dont la mémoire est convoquée pour justifier les conflits qui déterminent le présent et le proche avenir du monde contemporain, tout en fracturant nos sociétés selon des lignes de faille inédites ».

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