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«L’Inde: quelles règles sociales dans une économie émergente?»

Nicolas About et Alii, Rapport d’information n°  416, Sénat, Paris, Juillet 2007, 49 p.

1- En introduction à ce rapport, la mission du Sénat dit ceci: «Pays émergent aux dimensions d’un continent, l’Inde suscite, à juste titre, un intérêt croissant de la part des acteurs politiques et économiques européens. Deuxième puissance démographique, l’Inde connaît, depuis le début des années quatre-vingt-dix, une croissance économique de l’ordre de 6% à 8% par an, qui lui permet de s’imposer, progressivement, comme un producteur majeur de biens industriels et de services».

Plusieurs époques historiques semblent y coexister, note la mission: la modernité insolente de Bangalore y côtoie des modes de vie ancestraux, et la croissance économique qui semble favoriser l’apparition d’une classe moyenne, a laissé de côté plus d’un quart de la population indienne, qui continue de survivre avec un dollar par jour.

Le droit du travail et la protection sociale ne concernent par ailleurs, qu’une faible minorité de la population active, composée de salariés des grandes entreprises et d’agents publics. Le petit peuple des villes et les habitants des zones rurales y demeurent étrangers.

2-  Le rapport comporte trois grandes parties :

+ En première partie («Le droit social en Inde: des garanties largement virtuelles»), la mission estime que l’examen du corpus juridique indien laisse penser que les salariés bénéficient de règles assez protectrices, voire excessivement contraignantes pour les employeurs. En réalité, «ces garanties ne concernent qu’une très faible proportion de la population active (estimée entre 430 et 460 millions sur une population totale de plus d’un milliard d’habitants), qui oeuvre dans le secteur dit organisé, tandis que les travailleurs du secteur informel demeurent confrontés à une grande précarité».

Le marché du travail indien est divisé entre un secteur dit «organisé», minoritaire mais protégé, et un secteur «inorganisé», ou informel, largement prépondérant.

La législation du travail ne s’applique qu’aux 7% de travailleurs employés dans le secteur organisé. Encore ce chiffre inclut-t-il une forte proportion d’emplois publics: la part des travailleurs du secteur privé protégés par la législation est véritablement infime, observe la mission.

Le secteur organisé ne concerne quasiment pas les activités primaires (agriculture, pêche et mines): il correspond à 1% seulement de ces emplois, alors que le secteur primaire occupe 60% des travailleurs indiens. A l’inverse, les deux tiers des emplois publics relèvent du secteur organisé.

Par conséquent, seuls quelques soixante millions travailleurs, agents publics compris, sont couverts par tout ou partie des régimes obligatoires de sécurité sociale ou, pour les revenus les plus élevés, par une assurance privée.

Bien qu’il ne concerne qu’une petite minorité de travailleurs, le droit social indien forme un corpus juridique riche et sophistiqué, dont les sources sont principalement jurisprudentielles, constitutionnelles et législatives.

Le droit du travail fait partie des domaines de compétence partagée: tant l’Etat fédéral que les Etats fédérés peuvent légiférer en la matière. En cas de conflit de normes, la législation fédérale prévaut sur la législation des Etats.

N’ayant par exemple, pas le pouvoir de fixer un salaire minimum applicable dans tout le pays, le gouvernement fédéral s’efforce de promouvoir la notion de salaire minimum national, en encourageant les Etats de l’Union à ne pas fixer de salaire minimum inférieur à 66 roupies par jour (1 euro vaut environ 55 roupies).

Le droit du travail prévoit que la durée du travail hebdomadaire des salariés ne peut excéder quarante-huit heures par semaine, et que leur durée du travail journalière ne peut dépasser neuf heures. Les heures supplémentaires donnent lieu à une rémunération double par rapport au salaire habituel. Le travail de nuit est interdit pour les jeunes, entre 19 heures et 8 heures, ainsi que pour les femmes, entre 19 heures et 6 heures, sauf dans les entreprises informatiques. Les salariés ont droit à un jour de repos par semaine, en principe le dimanche.

Les règles relatives à la rupture du contrat de travail (du fait d’un plan de licenciements ou d’une fermeture) sont toujours soumises à l’obtention d’une autorisation administrative, jugée  lourde et fort contraignante par les organisations patronales, notamment en ces temps de restructurations.

+ En deuxième partie («Les relations sociales en Inde: vers un dialogue social plus apaisé?»), la mission note que «le syndicalisme indien présente la particularité d’être très fragmenté et politisé, puisque ses principales organisations sont liées aux grands partis indiens. La perte d’influence des syndicats, au cours des dernières années, s’est accompagnée d’une moindre conflictualité dans les relations sociales en Inde».

Le nombre de syndicats en Inde dépasse 100 000, mais le taux de syndicalisation ne dépasse pas 2%, car les travailleurs du secteur inorganisé sont peu présents dans les organisations syndicales. L’implantation syndicale est en revanche forte dans le secteur organisé (public notamment), où elle peut atteindre 80% dans certaines administrations.

Une des originalités du dialogue social en Inde est l’importance des discussions tripartites, associant l’Etat, les organisations patronales et les syndicats de salariés.

Si «la négociation collective est une pratique connue… que ce soit au niveau national, au niveau des branches ou de l’entreprise», sa portée demeure toutefois limitée, notamment parce qu’elle est cantonnée au secteur organisé, et parce qu’elle est essentiellement d’origine étatique, n’incitant guère les partenaires sociaux à élaborer des règles conventionnelles complémentaires.

La négociation collective porte, de manière privilégiée, sur les questions de rémunération et de conditions de travail : «dans le contexte de libéralisation économique, qui prévaut depuis une quinzaine d’années, les employeurs privilégient la négociation au niveau de l’entreprise, afin de conclure des accords qui répondent plus précisément à leurs besoins, et qui favorisent les gains de productivité».

La politique suivie par les pouvoirs publics, en matière de relations sociales, vise à éviter les conflits en privilégiant la voie de la conciliation. C’est la raison pour laquelle il est interdit de recourir à la grève lorsqu’une conciliation est engagée pour tenter de résoudre le conflit. La grève est également prohibée lorsqu’elle est justifiée par un litige porté devant une juridiction, ou devant une instance arbitrale.

+ Dans la troisième partie («La mobilisation des ressources humaines au service de la croissance»), la mission observe que «l’Inde fonde son développement économique sur une mobilisation efficace de ses ressources humaines, alliée à une meilleure insertion dans l’économie internationale».

Un trait original de l’économie indienne, comparée à celle d’autres pays en développement, est l’importance du secteur des services, largement tourné vers l’exportation.

Le secteur des services à valeur ajoutée (services informatiques et services aux entreprises), produit un chiffre d’affaires évalué à 22 milliards de dollars en 2004-2005, dont une part prépondérante est réalisée à l’export (17 milliards), et emploie directement environ 650 000 salariés.

Les exportations de ces services ont progressé à un rythme moyen de 17% par an au cours des années 1990 (contre une moyenne mondiale de 5,6%), et représentaient 5% du PIB indien en 2005, contre 2% seulement en 1995.

Le succès indien dans ce secteur s’explique par la présence d’une importante main-d’œuvre bien formée dans les domaines scientifique et technique. Chaque année, l’Inde forme 300 000 ingénieurs et 150 000 informaticiens, généralement anglophones. Les instituts indiens de technologie, qui les forment, jouissent d’une réelle renommée internationale.

Mais la poursuite de la croissance indienne est subordonnée, note la mission, à la capacité de ce pays à remédier à sa pénurie de travailleurs qualifiés, et à l’insuffisance de ses infrastructures.

En effet, «en dépit du nombre considérable de jeunes diplômés chaque année dans les filières scientifiques, le développement des entreprises du secteur high-tech se heurte à une pénurie de travailleurs qualifiés, qui occasionne une envolée des rémunérations, et rend plus difficile la fidélisation des salariés».

La croissance de l’Inde est pénalisée aussi par la faiblesse de ses infrastructures, énergétiques, de télécommunications et de transport, qui s’explique par un défaut d’investissement: l’Inde consacre 1,5% de son PIB aux infrastructures chaque année…la Chine leur consacre 3%.

 

Rubrique "Lu Pour Vous"

 6 septembre 2007

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