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«Le co-développement à l'essai»

Catherine Tasca, Jean François Poncet et Alii, Rapport n° 417, juillet  2007, Sénat, Paris, 65 p.

1- Le co-développement désigne, dans l’esprit des rédacteurs de ce rapport, «les actions des migrants au profit du développement de leur pays d’origine. Il s’agit d’une réalité aussi ancienne que l’émigration elle-même et ses vagues successives». En effet, «dès les années 1960, période de développement des flux migratoires vers l’Europe, les migrants ont soutenu des projets au profit de leur famille, restée au pays et de leur village d’origine».

2- Ce rapport sur le co-développement comporte trois parties :

+ En première partie («Migrations et développement: quelle jonction possible?»), le rapport note que la relation entre migration et développement (le mal développement en fait) est une relation complexe.

En effet, au moment où l’émigration contribue au développement, par les transferts financiers qu’elle permet, elle prive aussi le pays d’éléments dynamiques, confrontés à l’impossibilité d’imaginer leur avenir sur place pour des raisons diverses (politiques, économiques ou autres).

Ce phénomène multiforme est, par ailleurs, en mutation profonde, sous l’effet des changements sociaux, de l’exode rural et de l’urbanisation.

Ainsi par exemple, «des pays d’émigration, comme le Maroc, dont les populations continuent à migrer, sont devenus des pays de transit, notamment vers l’Europe mais aussi, fait nouveau, des pays de destination où les migrants venus du Sud du Sahara s’installent faute de pouvoir poursuivre leur parcours».

Ce phénomène de migrations au départ de pays d’Afrique sub-saharienne vers les pays d’Afrique du Nord, et à destination de l’Europe, tend à s’accélérer et à se renforcer depuis le début des années 90, observent le rapport, et ce même si 90% des migrants africains préfèrent et s’installent dans un autre pays du continent.

Le rapport souligne également l’évolution rapide de la provenance des migrants: «près des deux tiers viennent d'Afrique, en particulier de l'Algérie et du Maroc, contre un peu plus de la moitié il y a cinq ans. La part des personnes originaires d’Afrique sub-saharienne parmi les immigrés présents sur le sol français, environ 570 000, soit environ 12% des immigrés est assez faible mais progresse rapidement, de plus de 45% entre 1999 et 2004. Les deux tiers sont originaires des anciennes colonies françaises».

Le rapport note aussi que la France et ses partenaires européens apportent à la pression migratoire une réponse essentiellement sécuritaire. «Cette réponse contribue notamment à modifier les comportements des migrants. Elle est à l’évidence insuffisante puisqu’elle n’agit pas sur les causes profondes de la pression migratoire».

Par conséquent, la réponse à des flux migratoires incontrôlés doit être recherchée dans le développement des pays d’origine, et ce d’autant que lesdits flux «constituent un véritable enjeu pour la stabilité, dans un contexte global de repli identitaire dans certains pays d’accueil traditionnels».

Ce constat étant posé, il reste, précise le rapport, à déterminer la nature des réponses à apporter, et les conséquences à tirer sur la politique de développement. «Le co-développement, à la rencontre des politiques de développement et de gestion des flux migratoires, est souvent présenté comme une réponse nouvelle».

+ En deuxième partie («Le co-développement, une réponse nouvelle ?»), le rapport observe que le co-développement est une pratique ancienne, mais sa relation avec la maîtrise des flux migratoires, est en revanche plus récente.

Si le terme de co-développement a connu une fortune récente, il ne renferme pas toujours la même signification: «il est tour à tour entendu comme une forme de partenariat, de développement concerté avec les pays bénéficiaires, comme le point de rencontre et d’articulation entre les politiques de développement et les politiques de gestion des flux migratoires, voire comme une forme plus humaine d’accompagnement des retours de migrants dans leur pays d’origine».

Le Maroc retient, pour sa part, une définition très large du co-développement et le conçoit «comme un partenariat macro-économique entre les deux rives de la Méditerranée, au bénéfice de la compétitivité de l’ensemble dans la mondialisation».

Au Mali, le co-développement est perçu dans sa dimension concrète en termes de projets réels, financés sur place.

Mais au-delà des différences dans l’appropriation du terme de co-développement, celui-ci s’appuie «sur le constat de la forte mobilisation des migrants en faveur de leur pays d’origine».

Par leurs transferts, les migrants sont incontestablement des acteurs du développement de leur pays d’origine. Les réalisations dans les régions d’origine, parfois délaissées par leur Etat, sont visibles: équipements collectifs, soins médicaux et scolarisation des enfants sont largement financés par l’argent des migrants.

Au Maroc, ils permettent, avec les revenus du tourisme, d’assurer l’équilibre de la balance des paiements et représentent, avec 4,2 milliards d’euros en 2006, 8,2% du PIB.

L’impact des migrants sur le développement de leur pays d’origine ne se limite pas à leurs seuls transferts financiers, note le rapport, «ils transmettent également leur compétence, leur savoir-faire, leur expérience des modes de vie du pays d’accueil».

Il ne s’agit pas uniquement de mobiliser les diasporas présentes à l’étranger, mais de tenter de «positiver» le retour des migrants. La France, par exemple, propose aux étrangers invités à quitter le territoire, une aide de 3500 euros pour un couple et 1000 euros par enfant.

Parce qu’elle est largement en phase expérimentale, la politique de co-développement est confrontée à de nombreux obstacles.

Car, en l’absence de structures bancaires très développées, et donc de concurrence, dans les régions d’origine des migrants, les coûts de transferts sont élevés et ponctionnent d’autant les montants disponibles. «Nécessaire pour réduire la part du secteur informel, une action sur les coûts de transferts ne devrait cependant pas avoir d’effet notable sur la part des investissements productifs», notent les rapporteurs.

En second lieu, les flux financiers sont généralement des flux privés, qui peuvent certes contribuer au développement, mais dont l’emploi relève toutefois de décisions individuelles.

Enfin, «si la part de l’investissement productif dans les transferts totaux est résiduelle, c’est qu’ils constituent en premier lieu un transfert de revenus indispensable pour satisfaire des besoins de consommation courante, dans des régions où les opportunités d’investissements sont par ailleurs limitées».

En même temps, les structures de coopération européennes ou des bailleurs bilatéraux ne sont pas en mesure de remplir un rôle d’accompagnement notamment lorsqu’il s’agit de projets nombreux et de petite taille.

Par ailleurs, si les migrants sont des acteurs importants du développement de leur pays d’origine, «il est légitime de s’interroger sur la convergence de leurs choix, géographiques ou sectoriels, avec les intérêts du développement du pays».

Et le rapport de conclure qu’en l’état actuel, «la politique de co-développement apparaît davantage tournée vers un objectif interne, freiner l’immigration et favoriser le retour des migrants que vers une politique externe visant à favoriser le développement du pays d’origine».

+ Dans la troisième partie («L’Union Européenne, nouvel horizon du co-développement?»), le rapport rappelle que «les liens entre migration et développement sont abordés pour la première fois par la Commission dans une communication de décembre 2002, qui recommande l’intégration de cette question dans les relations avec les Etats tiers, et le renforcement de la cohérence entre les politiques».

En décembre 2005, le Conseil européen a adopté «l’approche globale sur la question des migrations». Il s’agit d’une  «approche équilibrée, globale et cohérente, comprenant des politiques destinées à lutter contre l’immigration illégale et permettant, en coopération avec les pays tiers, de tirer parti des avantages de l’immigration légale», qui vise à définir une action cohérente en matière de migrations au travers de différents domaines d’action: relations extérieures, développement, emploi, justice, liberté et sécurité.

Parmi les mesures concrètes proposées figurent «la facilitation de l’envoi de fonds vers les pays d’origine (transparence des coûts, développement de l’accès aux services financiers), l’encouragement du rôle des diasporas implantées dans les Etats membres (aider les pays en développement à identifier leur diaspora et à établir des liens), le renforcement de la migration circulaire et la facilitation du retour, et l’atténuation des inconvénients causés par la fuite des cerveaux».

Le degré d’implication des Etats membres, dans la mise en œuvre de l’approche globale, varie en fonction de nombreux critères: leur proximité géographique avec les pays de départ et de transit, leur tradition d’immigration ou encore la situation de leur marché du travail.

Au sein même des Etats partageant des caractéristiques communes, les priorités ne sont pas toujours convergentes. Les pays d’immigration récente ont des pratiques différentes de celles des pays d’immigration ancienne.

Ainsi, «les cinq ou six grands pays européens, qui accueillent 80% des flux migratoires de l’Union européenne, reçoivent des migrants d’origine différente, et n’ont par conséquent pas les mêmes priorités géographiques».

Mais puisque la formalisation de la politique de co-développement n’en est qu’à ses débuts, son essor et son utilité impliquent une capacité à résoudre au moins trois écueils:

D’abord, l’approfondissement du dialogue avec les pays d’origine en garantissant des «contreparties minimales en termes d’opportunités de circulation entre les deux espaces, dans le souci d’un intérêt commun».

Ensuite, l’appui sur les principes du co-développement pour la révision des politiques de développement. Ce qui suppose «de replacer les questions économiques, et notamment la création d’emploi, au cœur des questions de développement, ainsi que la question du financement des projets d’investissement.

Enfin, la reconsidération du secteur éducatif et de l’appareil de formation, et ce en plaçant l’éducation de base au cœur des priorités, du fait des effets d’entraînement qu’elle induit dans le domaine de la santé, de la maîtrise de la fécondité ou encore sur le secteur productif.

Au Maroc par exemple, la défaillance du système d’enseignement public est manifeste. «Il y a urgence à soutenir une politique résolue de lutte contre l’analphabétisme, qui touche officiellement 38% de la population, avec de fortes inégalités au détriment des ruraux et des femmes dont les taux dépassent 60%».

Sur un autre registre, le rapport observe que «les déterminants de la migration ne sont pas strictement économiques… les motivations politiques, entendues très largement, le déficit démocratique, figurent même au premier rang des raisons invoquées par les migrants».

En effet, «la crédibilité et l’efficacité du système judiciaire, la prévisibilité et la fiabilité de l’administration fiscale, douanière ou encore des services de police, éléments essentiels, font encore trop souvent défaut. Un engagement résolu dans la lutte contre la corruption et en faveur d’une administration efficace, peuvent certes recevoir l’appui des bailleurs, mais ne peuvent résulter que de la volonté de l’Etat à utiliser au mieux les fonds dont il bénéficie».

En conclusion, le rapport souligne que: «phénomène structurel, durable, complexe, les migrations sont bien une question de développement».

l souligne aussi que «le développement ne peut certes apporter de réponse à court terme au phénomène des migrations incontrôlées. Pour autant, il ne peut s’en désintéresser, tant elles représentent également un défi au développement et à la stabilité».

Autrement, «la gestion des flux migratoires ne peut être déconnectée d’une interrogation sur les causes profondes des flux migratoires».

Rubrique "Lu Pour Vous"

20 septembre 2007

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