Mickaël Vallet. M, Malhuret. C, Rapport, Sénat, Paris, juillet 2023, 199 p.
Les craintes exprimées à l’encontre de TikTok et d’autres entreprises chinoises internationales sont, selon ce rapport, «intrinsèquement liées à la nature du régime politique chinois, à son régime juridique et à l’extraterritorialité de son droit».
Or, les représentants de la société affirment que «la maison mère de TikTok, ByteDance, est une entreprise internationale, immatriculée aux îles Caïmans et dont le capital est pour l’essentiel détenu par de grands investisseurs institutionnels, dont plusieurs sont Américains». TikTok est, de ce point de vue, relativement autonome par rapport à ByteDance et serait une entreprise totalement internationale et nullement chinoise.
Or, note le rapport, les îles Caïmans sont classées deuxième au classement 2021 des paradis fiscaux du réseau international pour la justice. Elles abritent ainsi de nombreuses sociétés offshore en tant que sociétés écrans, «non seulement parce que cela permet de bénéficier de conditions fiscales avantageuses, mais aussi et surtout par ce que cela garantit anonymat et opacité».
TikTok nie par ailleurs, indirectement l’existence d’un système organisé de transferts de données vers la Chine, «reconnaissant seulement la possibilité pour certains employés, dont ni le nombre ni les fonctions ne sont connus, à accéder, au cas par cas, à des données d’utilisateurs européens, et en mettant sur le même plan les transferts vers la Chine et ceux vers le Brésil ou les Philippines».
Interrogé au Congrès américain sur la présence de membres du Parti communiste chinois, le PDG de TikTok avait en substance répondu qu’il «n’interrogeait pas ses employés sur leurs opinions politiques».
Dans le même temps, l’application est également très critiquée pour son manque de transparence et d’efforts en matière de lutte contre la désinformation et la mésinformation, «ce qui est d’autant plus préjudiciable que TikTok comporte désormais des fonctionnalités de recherche assimilables à celles d’un navigateur Internet, ce qui en fait aujourd’hui l’une des premières sources d’information des jeunes utilisateurs».
Comme Huawei hier, TikTok symbolise aujourd’hui l’ensemble des risques qu’une entreprise numérique et mondialisée d’origine chinoise peut représenter.
Et le rapport d’affirmer nettement qu’il a été établi que l’entreprise appartient à «un groupe chinois dont le capital est encore largement détenu par des dirigeants et fondateurs de nationalité chinoise, et dont la gouvernance globale fait l’objet d’une surveillance étroite du Parti communiste chinois», qu’elle est soumise à l’extraterritorialité du droit chinois et qu’elle est étroitement liée à une entreprise, davantage «mère» que «sœur», Douyin Info Service Co., située à Pékin, dont elle partage les technologies et avec qui elle échange constamment des données et des informations.
Force de frappe internationale au succès incontestable, «TikTok pourrait être utilement mis au service des intérêts et de la pérennité du régime chinois, au détriment de la sécurité des données des utilisateurs mondiaux de TikTok, du pluralisme des expressions et de la qualité de l’information diffusée sur sa plateforme».
C’est la raison pour laquelle, des pays comme l’Inde, le Pakistan, l’Afghanistan, la Jordanie, Taïwan et l’État américain du Montana ont décidé d’interdire complètement l’utilisation de TikTok sur leur territoire, les autres pays, très majoritairement occidentaux, ayant surtout adopté «des mesures de restriction d’utilisation de l’application, notamment sur les téléphones professionnels des élus, des fonctionnaires, des membres du Gouvernement ou encore de l’Armée».
Aujourd’hui avec TikTok, comme hier avec Huawei, «les craintes de l’opinion publique et des dirigeants politiques sont de plus en plus fortes, les annonces d’interdiction ou de restriction se succèdent, les risques de captation massive de données au service de la pérennité du régime chinois se confirment tandis que les doutes quant à la propriété du capital et au contrôle exercé par le Parti communiste chinois (PCC) persistent».
Il faudrait rappeler que Huawei est le premier fournisseur mondial d’équipements de réseaux de télécommunications, fabricant de terminaux et désormais fournisseur de solutions numériques, logicielles et de prestations d’informatique en nuage (cloud)». Elle est aujourd’hui une entreprise multinationale présente dans plus de 170 pays.
En déployant des infrastructures de télécommunications dans le monde entier, Huawei est devenu «le véritable fer de lance de la stratégie chinoise des routes de la soie numérique, qui vise à tisser autour de la Chine un réseau d’infrastructures numériques terrestres, maritimes et spatiales afin de garantir à la fois l’hégémonie internationale de la Chine, la dépendance d’autres puissances à son égard et vis-à-vis de ses technologies, tout en poursuivant une politique nationale d’autonomie numérique visant à dépendre le moins possible de l’extérieur».
Elle a bénéficié «d’un soutien continu, politique et financier, de la part du régime chinois afin de soutenir sa croissance, son développement et son internationalisation».
Les principales craintes exprimées à l’encontre de Huawei sont:
- Le manque de transparence et de lisibilité quant à la structuration du groupe et la propriété de son capital,
- l’existence d’un lien avec le Parti Communiste Chinois (PCC), la nature de ce lien et du contrôle exercé sur la gouvernance et les décisions politiques de l’entreprise,
- l’incapacité à démontrer l’absence de risques d’espionnage et de transferts de données vers la Chine.
Tous les observateurs constatent que l’algorithme de l’application est particulièrement efficace pour capter l’attention de ses utilisateurs, «cette efficacité étant sans doute plus grande que sur les autres applications et expliquant son succès remarquable».
Cette performance pour retenir l’attention s’explique par le format très court des vidéos, qui apporte plusieurs avantages. «Tout d’abord, ce format conduit à ce que le temps d’apprentissage de l’algorithme, pour cerner les intérêts de l’utilisateur, soit beaucoup plus rapide que sur les autres plateformes. La multiplication des interactions avec l’utilisateur donne plus rapidement des informations sur lui. En outre, une autre particularité de TikTok, qui explique son efficacité à capter l’attention, tient à la facilité d’utilisation. Les utilisateurs n’ont pas besoin de faire de recherches sur TikTok puisque les vidéos s’affichent tout de suite sur le fil Pour Toi».
Les raisons d’inquiétude s’agissant des effets délétères de TikTok sur les enfants et adolescents sont réelles, note le rapport, l’algorithme de TikTok étant «particulièrement efficace pour enfermer dans des bulles de filtre, une adolescente regardant des vidéos de scarification».