«Algérie-France: comprendre le passé pour mieux construire l’avenir»
Domeizel. C, Actes/colloque, Sénat, Paris, Décembre 2012, 137 p.
1- En présentation de ce rapport, l'on lit: "Coloniser voulait dire, il y a un siècle, mettre en valeur, développer, voire civiliser, alors qu’aujourd’hui, le terme est devenu péjoratif. C’est encore plus vrai pour le concept d’assimilation qui est toujours actuel, avec un contenu différent".
Aujourd’hui, lit-on toujours dans le mot de présentation, "le processus d’assimilation signifie que quelqu’un d’une culture différente ou étrangère, qui arrive dans un autre pays, se dilue dans le pays d’accueil, alors qu’à l’époque, le processus ne devait pas conduire les Algériens à devenir français, mais visait plutôt à l’assimilation de l’Algérie, comme territoire, à celui de la France. Il y a une véritable différence".
Pourquoi la France a-t-elle décidé de conquérir l’Algérie? S'interroge le rapport.
La réponse a été donnée par le général Bugeaud, principal auteur de la conquête militaire de l’Algérie dans les années 1840 : "Il faut conquérir l’Algérie pour que toutes les dépenses qui ont été consenties depuis dix ans n’aient pas été consenties pour rien, mais il ne servira à rien de conquérir l’Algérie, si la France ne se donne pas les moyens de la garder ".
Conquérir l’Algérie entraînait d’abord l’acceptation d’un effort militaire considérable : plus du tiers de l’armée française a été envoyé en Algérie. Et cela impliquait également, dans l’esprit des responsables de la politique française à l’époque, "la nécessité d’employer tous les moyens de la façon la plus efficace et la plus expéditive, pour parvenir à une victoire militaire la plus rapide possible. Cet effort militaire a été fait, impliquant notamment des méthodes extrêmement brutales, et il a réussi à venir à bout de l’Émir Abdelkader. Ainsi la conquête a été réalisée".
Dans l’esprit du général Bugeaud, la colonisation de l’Algérie était la solution au problème. Colonisation non pas au sens que le mot a pris aujourd’hui, c’est-à-dire une colonisation d’exploitation, mais une colonisation de peuplement visant à implanter en Algérie une population française la plus nombreuse possible. Cela impliquait de procurer à cette population française le plus possible des ressources du pays : propriété de la terre, établissement de nouveaux villages, etc. Dans l’esprit du député Bugeaud, la colonisation était le moyen de pérenniser la conquête.
C’est par conséquent la IIe République qui a commencé à réaliser ce programme en faisant de l’Algérie trois départements français et en y envoyant, notamment, une grande partie des ouvriers parisiens qui s’étaient révoltés en juin 1848 parce qu’ils n’avaient pas de travail ou qu’on leur retirait le travail qui leur avait été donné par l’État.
Sujet français s’opposant ici à la condition de citoyen, puisque les indigènes, comme on les désigne avec mépris pour signifier leur infériorité et leur statut d’assujettis, sont, dans leur écrasante majorité, privés des droits et libertés démocratiques élémentaires.
Jules Ferry a joué un rôle majeur dans ces évolutions, puisque c’est lui qui, avec d’autres, a combattu avec vigueur l’assimilation, au motif, comme il le soutient dans un texte consacré à la Tunisie passée sous domination française, que "le régime représentatif, la séparation des pouvoirs et, ajoute-t-il, la déclaration des Droits de l’homme et les Constitutions sont des formules vides de sens dans les colonies, en raison de la présence de populations indigènes arriérées".
C’est clair, précis et concis, conclut le rapport : "sous les auspices de la République, deux ordres politiques et juridiques, radicalement différents, peuvent désormais s’épanouir, puisque la règle est : les lois et règlements de la métropole ne s’appliquent pas dans les possessions françaises sauf cas exceptionnel. Cela permet d’atteindre aux fondements du droit colonial et de la politique mise en oeuvre, qui ne sont pas dérogatoires aux principes républicains et à la législation nationale de façon marginale ou superficielle, mais par essence. Et c’est ainsi qu’en lieu et place des principes universalistes, triomphe un relativisme politique, juridique et moral qui a longtemps permis de justifier le statut imposé aux indigènes".
D’où il ressort, note le rapport, qu’avant la Seconde Guerre mondiale, l’assimilation fut avant tout un mythe politique, destiné à faire croire en la compatibilité de la colonisation et des principes républicains et à établir la soi-disant originalité de l’Empire français comparé à celle des autres puissances européennes.
La vraie politique d’assimilation a été celle qui fut appliquée au bénéfice d’une minorité de la population: aux immigrants européens non français d’une part, et aux juifs d’autre part.
Ainsi, observe le rapport, "quand on regarde historiquement la société française, y compris métropolitaine, le régime républicain a passé son temps à contrevenir à ces principes généraux et à ces valeurs".
2- La vraie nécessité aujourd’hui, c’est de comprendre ce passé, affirme le rapport. Et pour le comprendre, "il faut dépasser la question de la politique métropolitaine, car elle ne permet pas de comprendre ce qui s’est passé en Algérie de 1830 à 1962. Ce qu’il faut, c’est aller dans la société coloniale. On peut parler pendant des heures de la politique métropolitaine, des réformes tentées ou pas tentées, des contradictions du régime républicain, mais nous sommes en dehors de la société coloniale. Pour tenter de comprendre ce qui s’est passé, ce qu’il faut, c’est tenter de la pénétrer un peu mieux. Y compris en se posant la question de savoir comment les Algériens ont vécu cette colonisation".
L’histoire France-Algérie a commencé il y a 188 ans avec une conquête. "Nous sommes prêts de clore cette histoire avec un bicentenaire celui de la conquête coloniale de l’Algérie en 1830. La France aime bien les bicentenaires. C’est à ces occasions que nous parvenons à réconcilier les révolutionnaires, les monarchistes et les coupeurs de têtes, parfois avec l’aide d’un regard extérieur…Aujourd’hui, c’est aux politiques de travailler. Ici et en Algérie".
Comment fait-on pour réconcilier les mémoires? D’abord, on fait de l’histoire, répond le rapport. Parce que, sinon, les mémoires sans histoire ne peuvent que s’opposer. "Si on arrivait à faire que les mémoires soient à peu près d’accord sur l’histoire, cela serait un grand pas. Il faut donc commencer par là. Seul un travail rigoureux conçu en partenariat franco-algérien permettra de sortir des guerres de mémoires".
Mais, cela n’empêchera pas, affirme le rapport, "les mémoires de continuer à exister à travers leurs propres souvenirs, leurs propres désirs, leurs propres histoires personnelles, leurs propres destins individuels. Il ne faut surtout pas éteindre cette flamme intérieure. Mais il faut distinguer mémoire individuelle et mémoire collective".
La France a besoin de guérir de son passé colonial. Il faut pour cela le connaître, l’assumer, en parler, l’écrire, note le rapport. C’est également important pour l’Algérie, qui pendant 132 ans a été victime du système colonial. "Au caractère indigne et liberticide de ce système…il faut ajouter qu’il a essayé d’éradiquer toutes les racines culturelles de l’Algérie en niant la langue arabe, l’histoire si riche de l’Algérie. Seul l’islam a résisté, puisqu’il a été le refuge de la résistance, le seul refuge où les Français n’osaient pas intervenir".
La France et l’Algérie devraient être, "à l’instar du couple franco-allemand pour l’Europe, le couple moteur de la Méditerranée occidentale. Et contribuer à l’instauration d’une zone de prospérité, de paix et de justice dans cette partie du monde qui est la seule à avoir une unité de civilisation, d’histoire et de population".
Yahya El Yahyaoui
Rabat, 14 Février 2013