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«La France face au jeu des puissances en Méditerranée»

Dumas. C, Raimond-Pavero. I, Rapport, Sénat, Paris, septembre 2022, 136 p.

En introduction à ce rapport, l’on lit : «dans un périmètre restreint à 2,5 M de km2, soit un soixante-dixième seulement de l’océan Pacifique, la Méditerranée concentre non pas une civilisation mais, selon l’expression de Fernand Braudel, des civilisations entassées les unes sur les autres dans un espace dont la fragmentation est accentuée par l’existence de plusieurs mers distinctes, à l’image de la mer Égée qui s’étend entre la Grèce, l’Asie mineure et la Crète, ou de la mer Adriatique comprise entre la péninsule des Apennins et celles des Balkans».

La Méditerranée, que sa situation géographique place à l’interface entre plusieurs continents qui échangent massivement des marchandises et de l’énergie, concentre chaque année près de 25% des flux du commerce mondial.

Parallèlement au transport maritime de marchandises, «le corridor méditerranéen est également un espace stratégique de transit pour les flux énergétiques qui assurent l’approvisionnement du continent européen. En 2019, le canal de Suez a permis à ce titre, le transit de 48 M de tonnes de pétrole brut du Sud vers le Nord, ainsi que 65 M de tonnes de produits raffinés et 23 M de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL). Dans le sens inverse, du Nord vers le Sud, la hausse anticipée de la demande asiatique en énergie dans les prochaines années, va renforcer le caractère stratégique du bassin méditerranéen par lequel transitent les exportations en hydrocarbures de l’Afrique du Nord, de la Russie et de la Turquie vers l’Extrême-Orient».

A ses extrémités orientale et occidentale, le bassin méditerranéen concentre, avec le canal de Suez et le détroit de Gibraltar, deux passages stratégiques du commerce mondial.

Le détroit de Gibraltar est en fait, un passage stratégique long de 60 km, qui relie le corridor méditerranéen au grand bassin Atlantique et aux ports de la mer du Nord. Cet espace de transit d’une largeur minimale de 14 km situé entre l’Europe et l’Afrique, accueille chaque année 70 000 navires. Plusieurs ports méditerranéens se sont d’ailleurs développés, en tirant profit de la situation stratégique du détroit vis-à-vis des flux du commerce international.

Dans le même temps, le bassin repose sur un large réseau de transmissions intercontinentales permises par une infrastructure composée de câbles sous-marins de communication qui concentre 98% des flux de données vers l’international.

Les fibres optiques qui en sont à la base, permettent une transmission de données plus importante, plus rapide et plus sûre que les connexions par voie satellitaire ce qui fait du réseau des câbles sous-marins le principal vecteur du trafic mondial d’informations dont la valeur est estimée à 10 000 Md$ par jour.

La recherche de la supériorité informationnelle et l’émergence dans les années 2000 du concept de «guerre réseau-centrée» (Network-Centric Warfare) a renforcé le rôle des câbles sous-marins dans les conflits modernes et, partant, leur importance stratégique.

D’un autre côté, la façade méditerranéenne de l’Europe est un «point d’entrée historique pour les flux migratoires à destination du continent. Les traversées de la Méditerranée depuis la rive Sud pour rejoindre l’Europe, sont motivées par une multiplicité de facteurs qui trouvent notamment leur source dans les déséquilibres croissants qui existent entre les sociétés des deux rives du bassin méditerranéen, tant sur le plan économique que du point de vue de la démographie».

Le bassin méditerranéen concentre aussi, du fait de sa vaste étendue et de la difficulté d’en assurer le contrôle, un  développement croissant des réseaux de trafic illicite de migrants.

Espace maritime d’une relative exiguïté, ne représentant pas plus de 1% des eaux de la planète, la Méditerranée concentre ainsi «une grande diversité d’activités économiques et commerciales qui font peser une pression croissante sur l’environnement naturel du bassin méditerranéen ».

Cette dégradation accélérée de l’environnement méditerranéen, dont les causes sont liées à l’activité humaine, pourrait avoir d’importantes conséquences sur la stabilité des pays de la zone.

De ce fait, la coopération entre les deux rives longtemps proclamée, a échoué à «faire de la Méditerranée un espace commun de paix, de stabilité et de prospérité, grâce au renforcement du dialogue politique et de sécurité, de la coopération économique, financière, sociale et culturelle».

Le rapport relève par conséquent, que «l’inertie relative des initiatives européennes de coopération dans le bassin méditerranéen, est notamment liée au fait que les approches globales adoptées par l’Union ont souvent été paralysées par le maintien de dissensions importantes entre les pays riverains de la Méditerranée au sujet de différends d’importance régionale ou globale comme ».

Sur un autre plan, la Méditerranée continue de constituer un point d’ancrage stratégique pour la défense des intérêts américains. L’on affirme même que seul le maintien d’une présence américaine en Méditerranée peut constituer «nouveau containment» face à la Russie, Chine et l’Iran.

La Russie a également renforcé son influence autour du bassin méditerranéen, en préservant la relation bilatérale avec la Turquie, essentielle à l’accès des navires de guerre russe à la Méditerranée depuis la mer Noire, et en exerçant sa diplomatie d’influence sur les pays des deux rives de la Méditerranée.

La sécurisation des routes du commerce maritime international est par ailleurs, devenue un objectif stratégique pour la Chine, notamment depuis son ouverture au commerce international et son insertion dans les chaînes de valeurs mondiales, symbolisées par son adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001,

La présence chinoise en Méditerranée s’explique dès lors par «la volonté de la Chine de décliner sa stratégie d’influence dans l’ensemble des régions du monde. Le bassin méditerranéen constitue à ce titre une zone d’intérêt particulier pour Pékin dans la mesure où d’une part il constitue le principal corridor d’acheminement de marchandises entre la Chine et l’Union européenne, qui transite par voie maritime à hauteur de 80% et d’autre part il permet à la Chine de s’implanter économiquement dans des pays de la rive sud de la Méditerranée qui sont éloignés de sa sphère traditionnelle d’influence».

Le programme de « nouvelle route de la soie » constitue un levier de sécurisation de ses approvisionnements par des investissements dans des infrastructures de transports terrestres et maritimes pour relier l’Asie, l’Afrique et l’Europe.

Pour la France, le bassin méditerranéen est un espace essentiel pour ses intérêts, aussi bien civils que militaires, liés aux mille sept cents kilomètres de littoral méditerranéen qui bordent la partie sud-est de son territoire. La façade méditerranéenne sert à ce titre de «voie d’entrée à d’importants flux de marchandises et d’informations, et elle est un élément structurant de nos relations diplomatiques avec les pays de la rive sud du bassin et de notre coopération militaire avec nos alliés dans l’ensemble du bassin méditerranéen».

Or, aussi bien la France que l’Union européenne et l’Alliance atlantique doivent se donner «collectivement les moyens de réinvestir pleinement l’espace stratégique méditerranéen qui est de première importance pour nos intérêts et notre sécurité».

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