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«La fin des sociétés» (2/4)

Alain Touraine, Ed. Seuil, Paris, 2013, 666 p.

Le passage des sociétés historiques aux sociétés post-historiques, traduit ce que l’auteur appelle «situations post-sociales». Il le résume comme suit : «alors que la sociologie classique a affirmé la réciprocité du point de vue du système et du point de vue des acteurs, ces deux points de vue se séparent dans le nouveau type de situation, ce qui élimine l’idée de société, qui était définie avant tout par cette réciprocité de perspectives».

Les situations sont définies dans des termes de moins en moins sociaux et, parallèlement, «les acteurs cessent d’être sociaux, c’est à dire d’être définis par leur position dans l’organisation sociale, pour être de plus en plus directement définis en termes éthiques».

En effet, les systèmes économiques ou politiques, nationaux ou internationaux et globaux, sont orientés par la recherche de l’intérêt, tandis que «les acteurs sont guidés par l’affirmation de leurs droits, qui font d’eux des sujets dont la légitimité est supérieure à celle des organisations et même à celle des institutions».

Le nouveau type de situation sociale dans lequel nous sommes entrés est celui où les droits occupent une place supérieure à celle des lois, car «les droits ont un fondement universel, tandis que les lois sont définies par référence aux fonctions nécessaires à la survie et à l’adaptation de systèmes sociaux particuliers».

Autrement dit, dans les sociétés post-historiques, «le sujet, porteur de droits, commande l’acteur social autant que celui-ci commande la recherche de l’intérêt individuel. De sorte que les jugements de valeur, qui sont de plus en plus des jugements moraux, sont plus puissants que la recherche rationnelle de l’intérêt».

Ce que l’auteur observe par ailleurs, c’est cette «rupture entre la mobilisation sociale et l’action politique». En même temps, la séparation est devenue complète, «entre des systèmes économiques que la globalisation place au-dessus de tout, et des acteurs qui ne sont plus définissables en termes sociaux et deviennent directement porteurs des droits du sujet».

Sur un autre plan, la prétention des Occidentaux, surtout dans leur action colonisatrice, «d’identifier leur culture et leur société à des valeurs universelles, justifiant ainsi leur domination sur des peuples dont la vie culturelle et sociale était jugée par eux particulariste, explique la force avec laquelle leur volonté d’imposer leur modèle a été rejetée. On a même entendu les critiques les plus acerbes de l’Occident considérer l’universalisme de la même manière que d’autres particularismes, en expliquant sa construction en Europe par des circonstances historiques spécifiques».

Les propos de l’auteur sont clairs à ce propos : «aucun individu, aucune société ou aucune culture ne peuvent être identifiés à des valeurs universelles. Toute sacralisation d’un individu, d’un régime politique, d’une religion ou d’une forme d’organisation sociale (familiale, économique, sexuelle ou autre) génère de l’intolérance et risque de déboucher sur des persécutions dirigées contre les minorités ou les étrangers».

L’auteur milite ainsi pour un nouvel individualisme, «défini contre la domination de l’intérêt privé et orienté vers la capacité de trouver en soi la raison d’être de droits qui se situent toujours au- dessus de leur objet particulier : droits à la liberté, à l’égalité et à la création».

Il précise toutefois, que ce n’est pas l’individu dans sa singularité qui possède des droits. «Ce sont l’individu et la collectivité en tant que sujets qui exigent la reconnaissance de leurs droits fondamentaux».

Il donne l’exemple des minorités sexuelles (gays, lesbiennes, transgenres ou bisexuels) qui revendiquent leurs droits contre les lois qui définissent la sexualité seulement par une fonction sociale de reproduction. Il dit nettement: «le mouvement, qui a déjà obtenu dans certains pays, dont la France, la reconnaissance du droit des homosexuel(le)s au mariage et à l’adoption, est un exemple très éclairant de mobilisation de catégories définies non socialement».

C’est pour dire que dans l’esprit de l’auteur «la disparition de la société comme principe d’analyse et de légitimation est complète et irrémédiable…car, aucune forme d’organisation sociale ne semble plus en mesure de contrôler la globalité du système économique».

Par conséquent, c’est le sujet qui libère les êtres humains de ce que l’auteur appelle «les prisons du social». Autrement dit, «c’est l’universalisme des droits du sujet qui fait de chaque individu et de chaque groupe social, en tant qu’ils sont porteurs du sujet et qu’ils en appellent aux droits de celui-ci, un principe non seulement créateur, mais supérieur à tout autre principe créateur qui ne peut plus être qu’une création des êtres humains».

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