Mickaël Vallet. M, Malhuret. C, Rapport, Sénat, Paris, juillet 2023, 199 p.
En introduction à ce rapport sénatorial, les auteurs affirment que «le rêve de quelques jeunes ingénieurs californiens du début des années 2000 d’un Internet porteur d’une connaissance universelle, d’une transparence inédite et de nouveaux liens sociaux à l’échelle de la planète, s’est transformé en une réalité beaucoup plus prosaïque».
Ils continuent : «Fake news, discours de haine, harcèlement, désinformation, manipulations électorales à grande échelle, fermes à trolls, ne sont que quelques exemples des dérapages d’une technologie qui connaît un succès mondial, mais bien souvent pour de mauvaises raisons».
C’est dans ce contexte, affirment-ils, qu’est apparu voici quelques années, après Facebook, Twitter, Instagram et quelques autres, un nouveau venu «dont la croissance exponentielle lui a permis de dépasser en peu de temps la plupart de ses prédécesseurs».
En apparence TikTok leur ressemble. En réalité il s’en distingue par son mode de fonctionnement : au modèle du «graphe social» de la plupart des réseaux qui favorisent les interactions de l’internaute avec ses amis, TikTok oppose un «graphe d’intérêts» qui privilégie les contenus proposés par l’application elle -même.
Il s’en distingue aussi par son algorithme extrêmement addictif, qui retient des heures durant ses utilisateurs, essentiellement des enfants et des adolescents, sur leurs écrans.
La société ByteDance, société-mère de TikTok, a été créée en 2012, par Zhang Yiming et Liang Rubo, ingénieurs chinois en informatique, à Zhongguaucun, technopole située dans le district de Haidian de Pékin, considérée comme la «Silicon Valley chinoise».
ByteDance a constitué dès sa création une App factory, sorte de fabrique d’applications. En quelques mois, l’entreprise crée ainsi deux applications : Neihan Duanzi («Plaisanterie sous entendue»), un forum humoristique, et Jinri Toutiao («Les titres du jour»), un agrégateur d’informations qui repose sur un flux de contenu personnalisé et qui remporte rapidement un succès important.
En septembre 2016, ByteDance investit le domaine des vidéos à format court en créant Douyin («son d’une vibration»). Cette application s’inspire de Musical.ly, une plateforme née en Chine proposant des vidéos musicales et de karaoké, qui fonctionne à l’étranger mais qui reste confidentielle en Chine.
En mai 2017, ByteDance «lance une version internationale de Douyin, dénommée TikTok. ByteDance rachète Musical.ly en novembre 2017, puis fusionne Musical.ly et TikTok en août 2018».
A partir de 2018, la croissance de TikTok devient exponentielle. Pour favoriser son succès à travers le monde, «ByteDance investit massivement dans des campagnes de communication pour promouvoir TikTok sur les autres plateformes. Rien qu’en 2018, la société dépense 1 milliard de dollars en campagnes de publicités sur les sites de ses principaux concurrents, comme YouTube, Instagram et Snapchat, afin d’attirer de nouveaux utilisateurs sur TikTok».
La pandémie de Covid-19 sert d’accélérateur à la croissance de l’application. «Alors qu’elle comptait 54 millions d’utilisateurs en janvier 2018, TikTok en cumule plus de 689 millions en juillet 2020. En septembre 2021, l’application passe le cap du milliard d’utilisateurs mensuels. En 2023, TikTok compte 1,7 milliard d’utilisateurs actifs, soit plus de 20% des 4,8 milliards d’utilisateurs d’internet dans le monde».
Avec 3 milliards d’installations, TikTok était en 2022 l’application la plus téléchargée de l’histoire. Les utilisateurs de TikTok ouvrent leur application environ 40 fois par jour.
Le succès de TikTok est particulièrement impressionnant chez les plus jeunes, «l’application étant massivement plébiscitée par les enfants et les adolescents». En 2022, TikTok était le deuxième média social le plus utilisé par les adolescents américains après Youtube. L’on estime que les mineurs passent en moyenne 1h47 par jour sur TikTok.
Application de divertissement, ayant fait son succès à l’origine sur des vidéos musicales et de synchronisation labiale, «TikTok est en outre, de plus en plus une plateforme choisie par les jeunes pour s’informer. 15% des 18-24 ans utilisent l’application dans le but de s’informer. Aux États-Unis, plus du quart des 18-29 ans utilisent régulièrement TikTok pour s’informer».
Cependant, depuis ses origines, l’application a suscité de nombreuses polémiques médiatiques, mais aussi «des inquiétudes sérieuses, conduisant à une interdiction dans certains pays ou à des restrictions d’utilisation sur les terminaux portables d’employés des administrations publiques».
Au premier rang de ces inquiétudes, «les liens entre l’entreprise et la Chine font craindre une utilisation possible de l’application à des fins de désinformation ou de collecte de données personnelles des utilisateurs par les autorités de ce pays».
Ensuite, TikTok fait preuve selon les auteurs, d’une grande opacité dans ses relations avec l’ensemble des institutions où elle opère. En troisième lieu, il a été reproché à l’entreprise de ne pas respecter le Règlement général sur la protection des données européen (RGPD) «en collectant plus de données que nécessaires et en les transférant dans des pays qui n’appliquent pas des règles équivalentes».
Dans le même temps, TikTok a été particulièrement pointée du doigt en raison de son absence de transparence en matière de lutte contre la désinformation et dans les autres domaines couverts par le nouveau Règlement européen sur les services numériques (RSN) entré en vigueur à partir de l’été 2023.