Boniface. P, Ed. Eyrolles, 2021, 139 p.
Après le nucléaire, puis l’espace, l’Intelligence Artificielle semble être devenue le nouvel horizon stratégique. 52 pays se sont engagés dans la course, dont 24 ont publié des stratégies nationales établissant des plans de financement, de recherche ou de partenariats afin de gagner des parts de marché.
L’IA trouve son origine dans le développement des premiers ordinateurs, exponentiel au cours de la Seconde Guerre mondiale, et dont l’objectif consiste à mettre au point «une machine impossible à distinguer d’un être humain».
Le développement du connexionnisme et des systèmes réseaux neuronaux artificiels, ainsi que l’amélioration phénoménale des capacités de calcul des ordinateurs, permettent de développer le deep learning, ou «apprentissage profond» (à différencier du machine learning, «apprentissage machine») et de faire de l’IA un domaine de compétence et de recherche à part entière.
Il n’existe cependant pas de définition précise et unanimement acceptée de l’IA, mais l’on retient assez souvent celle qui la considère comme «un ensemble de techniques permettant à des machines d’accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux».
La distinction entre l’apprentissage profond et l’apprentissage machine est de taille selon l’auteur : le machine learning est le processus technique à travers lequel on peut dépasser les limites de l’algorithme écrit «à la main», étant donné qu’il est «impossible d’écrire un programme qui fonctionnera de manière robuste dans toutes les situations». Il s’agit d’un système qui s’autonourrit par un apprentissage supervisé, comme la reconnaissance d’images.
Concrètement, «on montre une image d’un objet à la machine, et à mesure qu’on lui montre diverses images de ce même objet, la machine finit par développer la capacité de reconnaître cet objet sur n’importe quelle image, même celles qu’elle ne connaît pas encore».
Malgré cela, le machine learning continue de nécessiter une intervention humaine, «le système devant être systématiquement modifié pour tout nouvel usage (en cas de changement d’image, par exemple)». Le deep learning correspond à une automatisation de chaque processus d’analyse de la machine, lui permettant un apprentissage automatisé à chaque étape.
La machine peut alors «améliorer progressivement sa maîtrise et sa connaissance du problème posé, mais également s’adapter à des problèmes différents».
Par ailleurs, qu’il s’agisse du deep ou du machine learning, plus la machine dispose de données, plus elle affine son expertise.
L’intervention humaine n’est plus nécessaire à chaque étape et la machine gagne, au fur et à mesure, en indépendance. Le processus est automatisé, «la machine perfectionne d’elle même son programme, l’homme se contentant de fournir les données».
L’IA consiste donc en des applications concrètes et des méthodes qui permettront aux ordinateurs de se comporter intelligemment.
Il faudrait noter que les données sont le coeur de l’Intelligence Artificielle. Ce sont elles qui viennent «nourrir» les algorithmes.
Les données sont ces unités de base qui constituent un facteur de puissance pour tous ceux qui les maîtrisent, qu’il s’agisse d’États ou d’entreprises. Elles permettent d’acquérir une connaissance fine des marchés, et donc un avantage matériel énorme.
Les métiers menacés par l’IA peuvent aussi bien être hautement que faiblement qualifiés. «Les voitures autonomes pourraient réduire le nombre d’accidents, mais elles vont aussi priver d’emploi les chauffeurs de taxi, les VTC».
Mais rien ne remplacera l’attention humaine. «Ce n’est pas un algorithme qui pourra vous réconforter ou vous remonter le moral à l’annonce de la découverte d’une maladie. Ce n’est pas lui qui vous donnera la confiance et l’énergie pour vous battre contre elle. Tous les métiers dans lesquels le contact humain est primordial ne seront pas remplacés par l’IA».
Selon Christophe Victor, «dans un monde de plus en plus livré aux robots, aux algorithmes et à l’intelligence artificielle, l’empathie, l’intuition, les relations interpersonnelles et la communication auront une importance croissante. L’humain devra ainsi, heureusement, se remettre au centre du jeu».
Or, les géants du digital sont venus bouleverser ce paysage, aussi bien sur le plan technologique que sur les plans économique et géostratégique.
Les milliardaires du digital sont les enfants triomphants de la révolution géopolitique de la globalisation, de la fin du monde bipolaire et de la révolution technologique des NTIC.
C’est que les GAFAM comptent aller plus loin : «grâce à l’Intelligence Artificielle, ils fourniront des services de santé et d’éducation meilleurs que le service public. Le décalage entre le travail de recherche et développement des GAFAM et les évolutions poussives de la démocratie est de plus en plus frappant. Les États pourraient-ils être tentés de déléguer aux GAFAM certaines fonctions par souci d’efficacité ?».
Autre question : l’IA, et plus largement les nouvelles technologies de l’information et de la communication qu’elle vient nourrir et développer, «vont-elles offrir à chaque être humain le moyen de prendre son destin en main, de s’informer, de s’exprimer et de se déterminer sans réserve ?».
Le risque existe de transformer le citoyen en consommateur passif, «en tuant son libre arbitre et en l’emprisonnant à son insu, ou avec son acceptation non consciente, en une machine à acheter et consommer sans réflexion ni recul».
D’un autre côté, durant la Guerre froide, les États-Unis ont été constamment soucieux de contrer la menace stratégique et idéologique soviétique, puis la menace financière et technologique nippone. Désormais, «face à la Chine, c’est la réunion de ces deux menaces en une seule, mais deux fois plus grande» La rivalité entre Washington et Pékin est économique et technologique.
La Chine s’est dotée de ses propres géants technologiques en mesure de rivaliser avec les Américains : «la Chine a opéré une transition d’une stratégie d’imitation à une stratégie d’innovation».
Si les États-Unis sont actuellement et incontestablement le leader mondial de l’Intelligence Artificielle (grâce à la puissance économique des GAFAM), il n’est pas sûr que ce constat soit encore vrai aujourd’hui. Il semblerait que «le flambeau de ce leadership ait traversé le Pacifique pour aller se loger en Chine».
En 2015, Xi Jinping parlait de faire de la Chine un «cyber super-power». Le plan «Made in China 2025», publié en 2015, ambitionne de dominer les industries du futur.
En avril 2018, dans un discours à Pékin, Xi Jinping déclarait qu’Internet et les technologies de l’information représentaient le secteur «le plus dynamique et prometteur pour l’intégration civile et militaire».
Les Chinois ont une véritable politique industrielle. «L’État stratège dessine les perspectives à long terme, les grandes orientations, dirige la manoeuvre et laisse des opérateurs privés, mais proches du pouvoir, réaliser les objectifs fixés. Ils ont le droit de s’enrichir s’ils respectent les directives nationales. Le capitalisme s’épanouit ainsi dans le respect du patriotisme».
Rubrique «Lu Pour Vous»
22 juin 2023