Bronner. G et al., Rapport, Paris, janvier 2022, 124 p.
Internet est un formidable progrès qui permet la circulation de l’information et de la connaissance à une rapidité et dans des proportions inédites, tout comme il rend possible l’échange public entre citoyens en transcendant les distances géographiques.
Mais «cette technologie facilite également la diffusion d’informations fausses ou trompeuses, aux conséquences parfois bien réelles, et pourrait favoriser la polarisation de notre société plutôt que l’échange argumenté des points de vue».
Les médias traditionnels (presse, radio, télévision) ont ici un rôle essentiel à jouer, car «ils demeurent la principale source de production de contenus», et ce même s’ils ne sont pas épargnés par les externalités négatives de cette dérégulation du marché.
La connaissance est essentielle à ce niveau, mais elle «n’immunise pas systématiquement contre le risque d’accorder du crédit à de fausses informations. Ces dernières peuvent pénétrer l’esprit des individus en profitant de leur manque de vigilance, de leur distraction, voire d’une certaine forme de paresse intellectuelle» : soupeser et analyser une information nouvelle avant de l’intégrer ou de la rejeter, demande un effort cognitif plus important que de se fier à la première impression qu’elle nous laisse.
Or, les réseaux sociaux n’incitent assurément pas à une telle vigilance, dans la mesure où «les contenus d’information sérieux y sont souvent noyés parmi les contenus de divertissement. De plus, de nombreuses infox sont partagées sur les réseaux sociaux sous la forme d’images sans hyperliens vers une quelconque source, ce qui rend difficile pour les utilisateurs de vérifier la solidité des faits avancés».
De nombreuses études montrent que plus une information, qu’elle soit vraie ou fausse, est répétée à un individu, plus ce dernier aura tendance à la croire vraie. Une seule exposition préalable à un contenu peut déjà suffire à augmenter sa crédibilité lorsqu’il est vu une seconde fois. Nous le trouverons d’autant plus vrai que nous l’avons déjà rencontré auparavant.
Les réseaux sociaux favorisent probablement un tel mécanisme, puisque «certaines infox qui y circulent, sont repartagées par de nombreux comptes et peuvent ainsi réapparaître régulièrement sur le mur ou le fil d’actualité des utilisateurs, un processus amplifié par les algorithmes d’engagement, dont le travail consiste à présenter aux utilisateurs des contenus similaires à ceux avec lesquels ils ont déjà interagi».
Ainsi la vigilance cognitive et le développement de notre esprit analytique constituent probablement «les meilleurs remparts individuels face à aux fausses informations. Dès lors, la piste d’action qui semble la plus prometteuse pour lutter contre les effets délétères de la désinformation est celle du renforcement de la formation à l’esprit critique et de l’éducation aux médias et à l’information».
Quant aux effets de la révolution algorithmique en matière d’organisation de l’information, on peut les subdiviser en trois axes:
°- l’éditorialisation algorithmique. C’est la manière dont les algorithmes régissent à la fois l’ordre et la fréquence d’apparition des informations, selon une logique de captation de l’attention,
°- le calibrage social. Il s’agit de la façon dont les réseaux sociaux altèrent la perception de la représentativité et de la popularité de certains points de vue,
°- l’influence asymétrique, le fait qu’Internet permette à des individus motivés «d’accéder à une visibilité numérique qui excède de beaucoup leur représentativité, rendant ainsi possible la prévalence de certains discours extrêmes qui profitent des conditions numériques pour sortir de leur espace de radicalité et diffuser leurs argumentaires».
Tout comme un journal papier traditionnel, c’est «la salle des plateformes» qui éditorialisent l’information. Elles le font selon une logique algorithmique qui reste opaque pour les utilisateurs.
La logique qui oriente la conception de ces architectures numériques ne répond, la plupart du temps, qu’à un objectif économique : il s’agit pour les plateformes numériques de «retenir aussi longtemps que possible l’attention de leurs utilisateurs, afin de pouvoir la convertir en ressources financières au moyen d’espaces publicitaires payants, ou encore de les inciter à partager plus de données, in fine monétisables, qu’il n’est nécessaire au strict fonctionnement du service. Pour cela, toutes les tactiques sont bonnes, aussi longtemps qu’elles ne sont pas interdites».