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«Internet des objets et souveraineté numérique»

Benhamou. B (Coord.), Institut de la Souveraineté Numérique/AFNIC, Rapport, Paris, 2021, 110 p.

En l’espace de quelques années, note ce rapport, le champ d’application des technologies de l’Internet des objets n’a cessé de s’étendre : «de l’optimisation des processus industriels à la maîtrise de l’énergie, des transports autonomes au contrôle environnemental, de la sécurité sanitaire à l’agriculture».

Si les premières générations d’objets connectés disponibles auprès du grand public, correspondaient à des appareils électroniques complexes (smartphones, tablettes, enceintes connectées, voi­tures connectées…etc.), «l’autre versant des technologies de l’Internet des objets, correspondait à des capteurs, puces RFID et dispositifs connec­tés pour le contrôle, le suivi et l’optimisation des processus de pro­duction et de logistique».

Aujourd’hui, l’on assiste à une convergence des techno­logies de l’Internet industriel et des technologies des objets connec­tés au-delà des appareils électroniques traditionnels. Cette nouvelle phase du développement de l’Internet des objets pourrait corres­pondre à l’essor de services autour des produits connectés et au-delà des «environnements connectés» : «Tout objet qui pourra être connecté le sera, que cela soit souhaitable ou non…».

Au-delà de la connexion des appareils électroniques, la deuxième phase de développement de l’Internet des objets pourrait correspondre à la connexion de l’ensemble des objets du quotidien: vêtements, pro­duits manufacturés, denrées alimentaires, médicaments…le potentiel économique de cet «Internet of Every­thing» provient ainsi du fait que 99,4% des objets physiques qui pourraient un jour en faire partie sont encore  non connectés.

Et le rapport de souligner que la montée en puissance de l’Internet des objets ne résulte pas d’une forme de déterminisme liée à une évolution «naturelle» de l’In­ternet, mais bien «d’une convergence d’intérêts économiques, indus­triels et technologiques : «l’effondrement du coût des capteurs, permet aujourd’hui une diversification massive de leurs usages au sein des objets connectés. De plus, l’augmentation des capacités de stockage et la diminution du coût des calculs rendent possible le traitement en masse des données issues des objets connectés».

Dans le même temps, le développement des technologies d’intelli­gence artificielle permet «d’automatiser le traitement des données recueillies pour faciliter la prise de décisions, par exemple dans l’aide au diagnostic médical, ou être en mesure d’effectuer des tâches complexes jusqu’alors réservées à des utilisateurs humains, comme le pilotage des véhicules autonomes».

On assiste par conséquent, à «la conver­gence des technologies de l’Internet traditionnel et de l’Internet des objets qui s’appuient sur des systèmes d’intelligence artificielle pour analyser et traiter les données issues de ces nouvelles générations d’objets connectés. Cette perception augmentée via l’intelligence artificielle pourrait constituer un levier essentiel pour la création de service à haute valeur ajoutée».

Pour les experts du Forum Économique Mondial : «A elle seule, la contribution de l’Internet des objets industriel à l’économie mondiale pourrait s’élever à 14 000 milliards de dollars d'ici à 2030. Sa valeur économique augmenterait davantage encore si l’on y ajoute l’Internet des objets destinés aux consommateurs et au secteur public». Pour le cabinet Statista, les dépenses mondiales consacrées à l’Internet des objets pourraient atteindre 1600 milliards de dollars en 2025.

Or, la sécurité de l’Internet des objets, en plus d’être une préoccupation majeure pour les usagers, est aussi devenue un enjeu de sécurité na­tionale pour les États. Depuis 2014 déjà, «la CIA a fait savoir à quel point elle craignait que l’Internet des objets ne devienne le nouveau théâtre de conflits internationaux».

C’est la raison pour laquelle, les réglementations sur la sécurité des objets connectés et plus lar­gement le traitement des données issues de ces objets, constituent des enjeux cruciaux en termes de protection des libertés, mais aussi en termes de confiance pour l’ensemble des acteurs des technolo­gies.

Un autre type de changement induit par ces objets connectés est lié, selon ce rapport, «au fait que leurs fonctionnalités et leur valeur proviennent de leur connexion à des serveurs distants. Si cette connexion aux serveurs distants est sus­pendue pour des raisons économiques, du fait de la cessation d’activité d’une société, ou technologiques, par l’absence de mise à jour, le fonc­tionnement de ces objets connectés (et leur utilité même) s’en trouve remis en cause. Les usagers de ces objets peuvent ainsi être dépossé­dés de ces objets sans qu’il soit besoin de les leur reprendre».

Protéger la souveraineté numérique correspondra, observe le rapport, à préserver les principes et valeurs culturelles en vigueur. Au premier rang desquels figurent les droits de propriétés. Ces droits revêtent en effet une importante particulière lorsque les grandes plateformes «acquièrent un pouvoir considé­rable sur la conception, la diffusion ainsi que l’usage des idées et des créations culturelles. Établir un lien de confiance avec les usagers des objets connectés passera par la nécessaire refondation du droit de propriété pour les objets et services connectés».

Dans le même temps, les risques sociaux engendrés par la combinaison des technologies d’intelligence artificielle et de l’Internet des objets deviennent désor­mais des éléments de décision importants pour l’ensemble des ac­teurs industriels impliqués.

En effet, pour les employés des secteurs visés par les transformations, «la synergie entre Internet des objets et intelligence artificielle pourrait induire des transformations de leur coeur de métier voire leur suppression…les conséquences éthiques et sociales de l’introduc­tion de ces technologies commencent déjà à avoir un impact sur les décideurs et en particulier sur les élus».

Cependant, ces projets peuvent aussi donner lieu à des dérives «lorsque les acteurs publics ne sont pas en mesure de contrôler les orientations stratégiques des sociétés à qui ils concèdent ces marchés de villes in­telligentes».

C’est pour dire que «l’acceptabilité sociale des innovations technologiques de l’Internet des objets» est devenue un facteur crucial pour l’ensemble des acteurs industriels. La «rétribution» que constitue l’échange de don­nées personnelles en contrepartie d’un service «gratuit» semble de moins en moins satisfaisante pour les citoyens. «A mesure que les ci­toyens sont informés des risques de dérives liées au piratage de leurs données ou des risques de surveillance généralisée, de nouvelles réti­cences se font jour. On note ainsi une grande variabilité des réponses des usagers face aux sollicitations des plateformes de l’Internet pour obtenir leurs données personnelles».

A l’issue du scandale Cambridge Analytica, certains éta­blissent même un parallèle entre les risques sécuritaires issus de la dissémination des armes, et les risques sociaux et politiques issus de la dissémination des données sensibles sur les individus qui, à leur tour, peuvent devenir des armes.

Il conviendra donc «d’établir des mécanismes de limitation des activités de collecte, de stockage ainsi que de circulation des données issues des objets connectés».

Car, face à la constitution de ces gigantesques agrégateurs de données, un enjeu juridique et technologique majeur correspondra au fait d’assurer aux usagers de l’Internet une meilleure maîtrise de leurs données.

Les données partagées devront être réduites au minimum à ce qui est réellement nécessaire pour réaliser l’interopérabilité. Et les entreprises qui collectent des données via ces nouvelles interfaces interopérables «ne devraient pas être autorisées à monétiser ces données de quelque manière que ce soit, y compris en les utilisant pour effectuer le profilage des utilisateurs à des fins publicitaires».

Un autre instrument de régulation des plateformes est lié à l’ana­lyse des algorithmes qui traitent les données personnelles. En effet, «la transparence vis-à-vis du Code de ces algorithmes pourrait bientôt devenir un impératif pour les sociétés démocratiques. Cette régulation pourrait s’appliquer en particulier à la conception des al­gorithmes des objets connectés qui auront une influence sur la sé­curité des personnes».

Lawrence Lessig affirme ainsi que le «Code des algorithmes cruciaux pour la vie des citoyens devra être sous le contrôle des citoyens, et plus conçu de manière opaque par des sociétés en dehors de tout contrôle démocratique». D’autant que les algorithmes des grandes plateformes peuvent déjà avoir «une influence déterminante sur la formation des opinions publiques. Ainsi en favorisant l’exposition de leurs usagers à des contenus plus clivants ou polarisants, ces plateformes exercent un rôle politique majeur».

A l’heure de l’Internet des objets, la souveraineté numérique ne peut se concevoir sous une forme uniquement défensive, mais bien comme la synergie entre mesures de régulation et élaboration de dispositifs de politique industrielle.

En effet, «au moment où l’Internet des objets devient un enjeu politique et éco­nomique majeur, la régulation des acteurs qui déploient ces solutions technologiques apparaît encore plus nécessaire».

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