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«L’eau, enjeu stratégique et sécuritaire»

Galland. F, Institut Diderot, Paris, juillet 2021, 57 p.

Pas de vie sans eau. Cette évidence prend aujourd’hui une acuité particulière, estime l’auteur: «parce que le dérèglement climatique la transforme en menace. La raréfaction des ressources en eau, pour une population mondiale qui continue de croître, va nous confronter, dans les années qui viennent, à de redoutables difficultés, d’abord écologiques, mais très vite économiques, sociales, politiques et stratégiques, auxquelles il importe de se préparer». Les climatologues annoncent d’ailleurs que la situation ne peut, à moyen terme, qu’empirer.

L’eau est devenue, à l’échelle de la planète, un enjeu stratégique et sécuritaire majeur, qui conditionne et la vie des individus et l’indépendance des États. Pas question de l’abandonner aux seuls professionnels de l’eau.

L’eau n’est pas seulement «le besoin le plus fondamental de la vie humaine». Elle est aussi facteur de paix ou de guerre, selon la façon dont on gère sa circulation et sa répartition. Car, les problèmes de rareté de la ressource en eau ont des conséquences en matière migratoire, en matière d’insécurité alimentaire et en matière de sécurité énergétique.

En 2013, dans une vidéo ayant «fuité», on voyait l’ancien Président Mohammed Morsi demander à son Conseil de sécurité nationale ce qu’il faudrait faire si les Éthiopiens continuaient dans leur projet. Ses conseillers «lui répondaient qu’il était possible de faire renaître le conflit érythréen, de jouer sur les tensions ethnico-religieuses internes à l’Éthiopie, voire de mobiliser l’Armée de l’air égyptienne au-dessus du barrage Renaissance».

Mais ce qu’il ne faudrait pas oublier, note l’auteur, c’est que «l’Éthiopie a impérativement besoin du barrage Renaissance. L’Éthiopie est un pays de 110 millions d’habitants, à 85% rural, avec, jusqu’à peu, une croissance économique à deux chiffres. L’Éthiopie est en effet devenue un sous-traitant des pays asiatiques, de la Chine notamment».

Le pays a donc besoin d’électricité pour sa population et pour soutenir sa croissance. Le barrage Renaissance lui apportera 6 000 MW. Ce sera la plus grande retenue d’eau douce d’Afrique.

Dans le même temps, le barrage représente pour l’Egypte, un sujet de sécurité nationale, car 95% de la population égyptienne habite en effet sur les rives du Nil, 98% de l’eau utilisée dans ce pays en provient. La moindre menace en amont du Nil a donc évidemment d’énormes conséquences sur la stabilité de l’Égypte.

En mars 2020, l’Égypte a dépassé les 100 millions d’habitants, une réelle bombe démographique à gérer : il va bien falloir nourrir cette population et assurer son ravitaillement en eau et en denrées, sachant que 80% de l’eau utilisée en Égypte est à vocation agricole.  

Or, l’Égypte doit parallèlement à cela, «réformer d’urgence ses pratiques agricoles pour éviter de consommer trop d’eau : utiliser des cultures moins consommatrices, réparer les fuites dans les réseaux qui ont des taux de perte de 40 à 50%, réutiliser les eaux usées…Il faut donc un véritable plan Marshall pour l’eau en Égypte afin de sortir de l’impasse actuelle».

La zone moyen-orientale connaît elle aussi des conflits d’une extrême intensité. Le Yémen par exemple, «pourrait être le premier pays au monde à disparaître à cause d’un manque d’eau».  En effet, les projections montraient alors que la capitale Sanaa, «n’aurait plus, en 2020, que 250 m3 d’eau par habitant et par an en termes de ressources renouvelables, c’est-à-dire presque rien. On estime qu’en dessous de 1 000 m3 par habitant et par an, la barrière de stress hydrique est franchie».

Autrement dit, la subsistance, la vie sociale, la production agricole, tout cela devient compliqué en deçà de 1 000 m3 par habitant et par an en termes de ressources renouvelables.

Pourtant, le Yémen avait beaucoup d’atouts pour lui : «avant le conflit qui y sévit depuis 2015, sur 80% des ressources en eau utilisées à des fins agricoles, la moitié servait à produire une drogue, le khat. Pour cette raison, le pays était alors au bord de la faillite hydrique. Depuis 2015, rien ne s’est arrangé, puisque quand on est en guerre, on n’investit plus et on détruit, directement ou indirectement, des ouvrages essentiels à l’alimentation en eau ou pour l’assainissement».

La situation n’est naturellement pas bonne non plus en Syrie, partiellement détruite par des années de conflit, avec de surcroît une Turquie, «pays hydro-dominant, qui joue un rôle dangereux en ce moment». A l’heure actuelle, les principaux ouvrages qui alimentent en eau Istanbul et ses 16 millions d’habitants, sont à leur plus bas niveau depuis 15 ans. La Turquie fait ainsi face à un problème de raréfaction de la ressource.

En revanche, dans cette zone moyen-orientale, plusieurs pays de la Péninsule arabique s’en sortent plutôt bien. «La ressource y est pourtant très rare, il n’y pleut pas, il n’y a plus grand-chose dans les nappes, il n’y a pas d’eau de surface disponible, mais une technologie y a fait des miracles : le dessalement».

L’Arabie saoudite par exemple, dessale quotidiennement 7,4 millions de m3 d’eau. «Ce sont les premières capacités de dessalement au monde, juste devant les Émirats arabes unis. En plus de cet investissement dans le dessalement, l’Arabie saoudite a aussi lancé des programmes d’efficience de ses réseaux urbains de distribution et a arrêté ses activités agricoles trop consommatrices d’eau».

Or, ces progrès, aussi incontournables soient-ils, engendrent une grande vulnérabilité stratégique de dépendance vis-à-vis du dessalement. Ainsi, le Qatar est dépendant à 99% du dessalement pour son alimentation en eau, fournie par seulement deux usines. La capitale saoudienne, Riyad, dépend, pour 65% de son alimentation en eau, de stations de dessalement situées à des centaines de kilomètres à l’est et reliées à la capitale par des conduites automatisées, les «water transmission lines».

Cela pose potentiellement deux types de problèmes, souligne l’auteur du rapport. Le premier est dû «aux fonctionnements des usines et du réseau : ces infrastructures dernier cri sont informatisées et donc susceptibles de faire l’objet d’une attaque cyber». Le second est de nature militaro-stratégique : «des pollutions accidentelles ou intentionnelles peuvent avoir lieu dans le golfe Persique, qui est une mer fermée avec très peu de courants, ce qui oblige à fermer les stations préventivement avant qu’elles ne soient atteintes par une nappe de pollution chimique ou hydrocarbure».

La Jordanie quant à elle, est présentée comme un pivot stratégique en matière de sécurité, mais que le manque d’eau rend vulnérable. Pour alimenter en eau Amman, on va pomper de l’eau à 350 km de là, dans la nappe Disi, à la frontière jordano-saoudienne, pour ensuite la conduire vers la ville à travers des conduites enterrées. Le coût énergétique de ce schéma est considérable : 2,6 kWh par m3 d’eau transportée. Ainsi, la Jordanie qui importe 96% de son énergie, est dans une situation difficilement tenable sur le long terme «à moins d’un accès à la génération nucléaire pour ce pays, comme les Émirats arabes unis ont pu récemment le réaliser».

S’agissant de l’Inde, les projections et analyses estiment que 21 mégalopoles indiennes manqueront d’eau à horizon 2030, faute de stratégie d’anticipation.

La Chine doit à son tour, affronter un problème important : 48% de sa population habite au nord, mais seulement 15% de ses ressources en eau s’y trouvent. En conséquence, «depuis une vingtaine d’années, les autorités chinoises sont en train de concrétiser le vieux rêve de Mao : emprunter de l’eau au sud, sur le Yangtze, pour la transférer au nord grâce à des canaux de dérivation».

Devant ce tableau assez inquiétant, quelles réponses apporter, s’interroge l’auteur.

Il croit ici en le pouvoir de la technologie. Il prend l’exemple de l’État d’Israël. «Originellement, Israël manque d’eau. Quand en 1979, Israël envahit le sud du Liban, c’est l’opération Litani, du nom de cette rivière en territoire libanais, qu’il s’agissait de contrôler et dont les pionniers d’Israël considéraient qu’elle était nécessaire pour un État israélien viable».

Aujourd’hui, «Israël n’entrera plus en guerre à cause d’un manque d’eau, grâce à la technologie. Israël est même en surcapacité hydraulique, avec ses usines de dessalement et de réutilisation des eaux usées. 90% des eaux usées israéliennes sont en effet réemployées à des fins d’arrosage agricole, d’arrosage d’espaces verts, voire de consommation humaine. C’est le champion mondial inégalé en la matière».

Et l’auteur de demander aux différents gouvernements de la région, de bien méditer l’expérience d’Israël.

Rubrique «Lu Pour Vous »

16 février 2023

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