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«Pour des relations transatlantiques équilibrées»

Allizard. P et al., Rapport, Sénat, Paris, 6 juillet 2022, 80 p.

Après plusieurs années de politique étrangère américaine marquées, sous le mandat de Donald Trump, par un fort unilatéralisme et une remise en cause des alliances au nom d’une stricte défense des intérêts nationaux, l’arrivée de Joe Biden au pouvoir a suscité, pour les auteurs de ce rapport sénatorial, «des attentes et l’espoir de relations plus apaisées et coopératives».

La question qui se posait alors est celle de savoir dans quelle mesure les grandes priorités stratégiques des États-Unis qui s’étaient affirmées sous les dernières présidences (pivot asiatique, volonté de mettre fin aux grandes interventions militaires à l’étranger) seraient poursuivies par la nouvelle administration.

La première année de Joe Biden a apporté un début de réponse à ces «craintes», notamment lors du déclenchement de la guerre en Ukraine au 24 février 2022, «conduisant les États–Unis à se réengager politiquement et militairement en Europe, à la fois pour soutenir ce pays et pour rassurer ses alliés et dissuader la Russie». L’OTAN, fragilisée ces dernières années par ses divisions et ses doutes existentiels, apparaît ainsi ressoudée et confortée.

Et le rapport de rappeler que la politique étrangère du président Donald Trump, longtemps fondée sur le principe «America first»,  a été marquée par «un repli prononcé des États-Unis sur leurs intérêts nationaux et un positionnement international caractérisé par une rupture brutale avec le multilatéralisme (sortie de l’UNESCO et du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, retard de paiements des contributions financières aux organisations internationales, blocage de l’OMC…etc.), la dénonciation d’engagements internationaux de premier plan (retrait de l’accord de Paris sur le climat, de l’accord sur le nucléaire iranien, retrait du traité FNI…) et une propension à malmener les partenariats passés avec les alliés traditionnels».

C’est que la politique étrangère de l’administration Trump privilégiait les rapports de force (Venezuela, Cuba, Iran…etc.) et pratiquait une forme de diplomatie transactionnelle.

Pendant la campagne présidentielle de 2020, le candidat Biden avait annoncé qu’il prendrait le contrepied de cette orientation et qu’il s’attacherait à réparer les dégâts causés par son prédécesseur. Il viserait à «restaurer le rôle et le leadership des États-Unis dans le système international et à réaffirmer leur engagement dans la défense du multilatéralisme et des valeurs libérales».

C’est la raison pour laquelle, dès les premières semaines de la nouvelle présidence, «des décisions attendues sont prises, en particulier le retour dans l’accord de Paris sur le climat et à l’OMS, la réintégration du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU ou encore le déblocage du processus de nomination de la directrice générale de l’OMC».

Il s’agit là d’une politique étrangère qui entend renouer avec la ligne plus traditionnelle, universaliste et coopérative.

Ce retour de la diplomatie se traduit par «un renforcement des crédits du département d’État, qui passent de 40,8 milliards de dollars en 2021 à 58,5 milliards de dollars dans le budget 2022, soit une hausse de plus de 43 %. Au sein de ces crédits, on relève notamment une augmentation de l’enveloppe destinée à l’Agence américaine pour le développement international (1,8 milliard de dollars, soit + 12,5%), outil habituel de la politique étrangère démocrate…Ce budget consacré aux affaires étrangères, reste cependant sans commune mesure avec celui alloué au département de la défense (715 milliards de dollars en 2022 contre 705,4 milliards de dollars en 2021)».

En Europe, le Président américain renoue avec l’OTAN et réaffirme l’engagement de son pays à garantir la sécurité collective fondée sur l’article 5 du traité de Washington.

En Asie, les Etats-Unis réactivent les alliances existantes avec les partenaires traditionnels (Japon, Corée du Sud, Philippines...) ou dans des cadres plurilatéraux (Asean).

Or, tout comme par le passé, la Chine est décrite comme la principale menace. De fait, «pour la première fois, les États-Unis voient leur suprématie susceptible d’être remise en cause par un pays sur tous les plans : économique, technologique, militaire, stratégique. Au plan stratégique, les États-Unis s’inquiètent notamment de la militarisation de la présence chinoise autour de la toile d’investissement que Pékin tisse dans toutes les régions du monde, devenant le principal partenaire économique de nombreux pays».

La compétition avec la Chine se veut donc globale. Elle se déroule sur le plan stratégique et militaire, sur le plan économique et technologique (se lançant dans une course technologique, les États-Unis vont investir 117 milliards de dollars en 2022 dans la recherche et développement), mais aussi sur le terrain idéologique et des valeurs (droits de l’homme, droit international, démocratie…etc.).

Dans ce contexte, la question de Taïwan, autour de laquelle se concentrent les tensions ces derniers mois, est «cruciale pour les États-Unis tant au plan géostratégique (la conquête de l’île par la Chine lui assurerait la domination sur le Pacifique) qu’au plan économique (Taïwan, qui assure 21% de la production mondiale de puces électroniques, représente une part déterminante de l’approvisionnement américain). Les États-Unis ont récemment renforcé leur engagement à défendre Taïwan en cas d’attaque et engagé des négociations commerciales bilatérales avec Taipei».

Il s’agirait aussi de «mettre fin aux guerres sans fin» qui «se sont révélées coûteuses (2100 milliards de dollars pour la guerre en Irak et 2300 milliards de dollars pour la guerre en Afghanistan) et qui font l’objet d’un rejet dans l’opinion publique».

On note par ailleurs, le peu d’appétence des États-Unis pour s’impliquer dans d’autres régions du monde, comme l’Afrique et l’Amérique latine, où la Chine et la Russie ne cessent pourtant d’accroitre leur présence et leur influence.

En outre, il n’y a pas de perspective de relance des grands traités multilatéraux de libre-échange comme le partenariat transatlantique ou de retour dans l’accord de partenariat transpacifique, quitté par Donald Trump en 2016. Sur le fond, «l’administration Biden manifeste de la réticence à l’égard du libre-échange, compte tenu de ses conséquences sur l’emploi au plan intérieur, mais aussi des distorsions qu’il provoque comme l’illustre le cas de la Chine, qui a mis à profit les règles du commerce international de manière déloyale, au détriment des États-Unis».

Ainsi, pour développer leurs échanges, les États-Unis privilégient les instruments bilatéraux et les coopérations bilatérales qu’ils jugent plus efficaces, voire des cadres ad hoc à leur main.

Au niveau de l’Europe, et alors que le président Trump était allé jusqu’à qualifier l’Union européenne d’ennemie, le président Biden a d’emblée manifesté «une volonté d’apaisement des relations avec l’Union européenne, notamment dans le domaine commercial où les contentieux s’étaient accumulés, et de relance des coopérations».

Par conséquent, au sommet Union européenne-États-Unis du 15 juin 2021, a été décidée l’instauration du Conseil du commerce et des technologies (CCT), instance ayant pour objectif de «permettre la discussion de sujets économiques d’intérêt commun comme la définition de normes et standards en matière de nouvelles technologies, la sécurisation des chaînes de valeur, les problèmes liés au contrôle export et au contrôle des investissements étrangers, la gouvernance des données et des plateformes…etc.».

La guerre en Ukraine a contribué par ailleurs, à rapprocher l’Union européenne et les États-Unis. La mise au point et en oeuvre de régimes coordonnés de sanctions, fondés sur une approche graduelle, et destinés à apporter une réponse unifiée vis-à-vis de la Russie, en témoigne en partie.

Les États-Unis apportent un soutien massif à l’Ukraine et notamment à son effort de guerre. Selon les données du Kiel Institute, «le montant de l’aide engagée en faveur de l’Ukraine depuis l’invasion russe, s’élève à 43 milliards d’euros, dont 24,1 milliards d’euros d’aide militaire, évoluant de plus en plus vers la livraison d’armes lourdes».

Les États-Unis se montrent, d’un autre côté, fort vigilants à ne pas se placer dans une situation de co-belligérance avec la Russie et à éviter tout risque d’escalade. Ils privilégient la fourniture d’armes défensives ou n’ayant pas la capacité d’atteindre le territoire russe.

L’autre volet du réengagement des États-Unis en Europe est celui du renforcement de l’OTAN. Il ne s’agit pas pour les Etats-Unis d’une quelconque «otanisation» de la gestion de la guerre. Il s’agit de renforcer la posture défensive de l’Alliance en vue de  «dissuader la Russie de l’attaquer sur son flanc est et de répondre aux inquiétudes des pays d’Europe de l’est».

D’autant que «la hausse inédite et significative des budgets militaires des États membres de l’UE (près de 200 milliards d’euros d’augmentation, dont 100 milliards d’euros pour la seule Allemagne) à la suite du déclenchement de la guerre en Ukraine et de la montée des tensions sur le flanc-est, va donc dans le sens de ce que souhaitent les États-Unis», et ce même si ces derniers continuent à percevoir le projet de défense européenne comme concurrent, et non complémentaire de l’OTAN.

Dans les deux cas de figure, l’approche américaine est particulièrement explicite. Elle consiste à s’assurer le soutien de ses alliés d’Europe centrale et orientale, pour mener une offensive visant à la prise en compte de la Chine comme menace.

Le concept d’«OTAN globale» mis en avant par le secrétaire général de l’OTAN dans son Agenda 2030, est une contribution au processus de réflexion devant conduire à l’adoption d’un nouveau Concept stratégique de l’Alliance.

C’est pour dire que les États-Unis ne déconnectent pas la guerre qui se déroule en Ukraine de la rivalité stratégique avec la Chine mais lient au contraire étroitement les deux dossiers.

Or, l’UE est malgré cela, attachée à l’idée d’un dialogue avec la Chine, estimant «nécessaire de coopérer avec elle pour répondre à des enjeux mondiaux tels que le changement climatique, le développement ou encore la non-prolifération des armes nucléaires».

D’un autre côté, les relations économiques entre l’Union européenne et les États- Unis sont particulièrement importantes, «non seulement au plan commercial (leurs flux commerciaux de biens représentent 556 milliards d’euros en 2020, soit 42% de ces flux à l’échelle mondiale), mais plus encore en termes d’investissements directs (IDE): les IDE européens aux États-Unis représentent environ 60% du total des IDE européens et réciproquement».

Il s’agit donc d’une relation économique globalement équilibrée. En effet, «si la balance est à l’avantage de l’UE en matière d’échanges de biens (+150,1 milliards d’euros en 2020), elle est positive pour les États-Unis en termes d’échanges de services (+78,1 milliards d’euros). En outre, l’Union européenne a un léger déficit dans le flux de revenus générés par les investissements directs américains en Europe, ces derniers étant supérieurs en stock (2317 milliards d’euros en 2020) et en flux (265,7 milliards d’euros) aux investissements directs étrangers européens aux États-Unis (respectivement 2090 milliards d’euros et 218,2 milliards d’euros)».

Cette situation est liée notamment au mode d’internationalisation des entreprises américaines, en particulier dans le secteur du numérique (GAFAM) et des choix de localisation d’actifs immatériels comme les brevets. Elle est liée aussi au fait que le marché américain reste difficile à pénétrer pour les entreprises européennes et la tendance se durcit, notamment en ce qui concerne les marchés publics, la présidence Biden ayant récemment pris des mesures visant à renforcer les exigences du Buy American Act.

Ces mesures sont un instrument de politique étrangère particulièrement prisé par les États-Unis, tout autant que les sanctions qui sont aussi souvent un instrument de guerre économique qui leur permet de sanctionner des entreprises concurrentes.

Or, quelle que soit la nature de la politique étrangère des Etats-Unis aujourd’hui ou demain, l’Europe doit se garder, note le rapport en guise de conclusion, de «faire front commun avec les États-Unis face à la Chine, dans une logique d’opposition systémique, car elle n’a pas exactement les mêmes intérêts économiques et géopolitiques, et doit conserver une marge d’action autonome».

Rubrique «Lu Pour Vous»,

13 octobre 2022

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