Sachwald. F, Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Paris, décembre 2008, 66 p.
1- Au cours des vingt dernières années, l’innovation est devenue simultanément plus impérative, plus exigeante et plus contrainte, constate l’auteur en préambule à son rapport. Dans le même temps, continue-t-il, «les formidables progrès des technologies de l’information et de la communication, combinés aux multiples évolutions qui sous-tendent la mondialisation, offrent des opportunités toujours plus nombreuses d’accéder à des idées et des ressources pour générer des innovations».
Depuis le début du siècle, l’organisation des processus d’innovation d’un grand nombre d’entreprises est devenue, affirme l’auteur, très différente de ce qu’elle était encore au cours de la décennie précédente. La notion d’innovation ouverte «permet de résumer tout un ensemble d’évolutions et a été présentée par ses promoteurs comme un changement de paradigme en matière d’organisation des entreprises».
Cette notion insiste sur le fait que les entreprises complètent désormais leurs capacités de R&D internes avec des sources externes variées et sélectionnées avec soin. L’accès à de nouvelles ressources peut accélérer le cycle de l’innovation et en réduire le coût. L’adoption d’une stratégie d’innovation ouverte peut aussi permettre aux entreprises de lancer de nouveaux marchés où elles seraient en position de leader. Combinée à l’internationalisation de la R&D, cette tendance peut générer des réseaux mondiaux d’innovation ouverte particulièrement efficaces.
Le développement de l’innovation ouverte peut améliorer la valorisation des résultats de la recherche académique sur laquelle les entreprises s’appuient de façon plus systématique dans la phase d’exploration du processus de R&D. La réussite de l’innovation ouverte repose aussi sur un écosystème où jeunes entreprises innovantes et grands groupes interagissent de façon fructueuse.
L’innovation ouverte appelle une meilleure intégration des différentes composantes, internes et externes, de la chaîne de l’innovation, pour l’entreprise individuelle comme pour le système national de recherche et d’innovation.
Par ailleurs, le recours à la sous-traitance pour certaines opérations de R&D, comme la coopération pour innover, «ne sont pas des tendances nouvelles, mais elles se sont amplifiées et sophistiquées au cours des vingt dernières années. Les laboratoires d’entreprises menant des recherches pour l’ensemble d’un groupe, ont émergé à partir de la toute fin du XIXème siècle. Ils ont connu une période de diffusion et d’expansion jusque dans les années 1960 et au début des années 1970. Au cours des deux décennies suivantes, l’externalisation de la R&D a sensiblement augmenté. Elle s’est notamment traduite par des coopérations en matière de R&D».
L’accent mis sur le caractère ouvert du processus de R&D avec la notion d’innovation ouverte peut être interprété, selon l’auteur, «comme une reconnaissance du rôle croissant des sources externes d’innovation par opposition aux capacités internes à l’entreprise. La notion d’innovation ouverte va cependant bien au delà en faisant de l’ouverture une réponse stratégique aux évolutions des contraintes de l’innovation».
L’ouverture fait désormais partie intégrante de l’approche des entreprises en matière d’innovation. Leurs frontières sont plus perméables, non seulement aux idées et aux technologies en provenance de l’extérieur, mais aussi aux exportations de technologie vers des partenaires. L’innovation ouverte vise ainsi à «optimiser l’utilisation des capacités d’innovation de l’entreprise en les complétant par des apports extérieurs, mais aussi en les rentabilisant à l’extérieur au cas où des projets ne correspondraient pas à la stratégie de l’entreprise. Les capacités de R&D pourraient ainsi être mieux rentabilisées, même dans les cas où elles n’aboutissent pas à de nouveaux produits ou services sur les marchés actuels de l’entreprise».
C’est dire, affirme le rapport, que l’innovation ouverte peut permettre aux entreprises d’accéder à un éventail de connaissances et d’idées beaucoup plus large que ce que ses capacités internes peuvent générer. Elle peut aussi «réduire le coût de l’innovation dans des proportions substantielles, tout en accélérant le processus. Elle peut enfin permettre à des entreprises dont les marchés et les technologies sont établis, de réussir des innovations de rupture et pas uniquement des innovations incrémentales».
2- Depuis les années 2000, note l’auteur, les implantations ont été particulièrement nombreuses dans les pays émergents, devenus plus attractifs pour les activités de R&D. Les entreprises soulignent que ces pays disposent de ressources humaines de mieux en mieux formées et d’une population jeune, mettant souvent les facteurs de coût au second rang. L’Inde en particulier a attiré de nombreuses entreprises étrangères au début des années 2000, car elle offrait un très bon rapport qualité-prix pour certaines activités scientifiques et technologiques.
Mais la relation entre production à l’étranger et R&D à l’étranger varie cependant en fonction du pays d’origine de la maison mère. Les multinationales japonaises par exemple, conservent des capacités de R&D relativement centralisées, alors que les entreprises européennes qui ont rapidement internationalisé leur production au cours des années 1990, ont aussi fortement accru la part de leur R&D à l’étranger. C’est notamment le cas des entreprises allemandes et françaises. Et depuis une vingtaine d’années, les entreprises européennes et japonaises ont utilisé leurs filiales aux Etats-Unis pour puiser dans les ressources du système d’innovation américain dans les secteurs de hautes technologies.
Une étude des centres de R&D japonais à l’étranger montre que leur implantation obéit aussi à des critères différents selon les activités spécifiques des différents centres : «les centres qui pratiquent l’ensemble des opérations de R&D sont implantés dans des pays dont l’intensité en R&D est plus élevée que les pays où sont implantés des centres de développement».
Pour les entreprises européennes, l’on constate une hiérarchie générale des critères d’implantation des centres de R&D, à savoir l’accès au marché d’abord, puis l’accès à des ressources humaines et technologiques, enfin l’accès à des ressources à coût faible.
3- Et l’auteur de noter que ce sont les interactions entre l’ouverture et l’internationalisation du processus d’innovation des entreprises qui entraînent le développement de réseaux mondiaux d’innovation ouverte. D’une part, «les deux évolutions répondent aux pressions qui s’exercent sur le processus d’innovation des entreprises et d’autre part l’internationalisation constitue l’un des aspects de l’ouverture. Ces interactions expliquent que le développement d’un réseau mondial d’innovation ouverte soit plus pertinent pour une entreprise qui adopte une stratégie d’innovation radicale plutôt que pour celle qui poursuit une stratégie d’innovation incrémentale».
Autrement, «le caractère interdisciplinaire et les combinaisons nécessaires pour innover sont une cause d’ouverture du processus d’innovation, mais aussi d’internationalisation dans la mesure où les compétences et les possibilités de combinaisons peuvent être meilleures à l’étranger. L’implantation de capacités de R&D sur des marchés leaders à l’étranger peut accroître la capacité de l’entreprise à percevoir les évolutions de la demande. Ces implantations seront cependant d’autant plus fructueuses que l’entreprise saura comprendre ces marchés et être réactive à leur demande sophistiquée, ce qui suppose un modèle d’innovation ouverte».
L’insuffisance des ressources internes a aussi, observe le rapport, renforcé la tendance à l’externalisation et à la spécialisation des opérations de R&D des entreprises (innovation ouverte), mais aussi la délocalisation de certaines opérations (internationalisation). De même l’optimisation des coûts «a pu favoriser la sous traitance de certaines activités de R&D comme la délocalisation dans des centres implantés dans des pays où les salaires sont relativement faibles. Enfin, le formidable développement des TIC est un facteur qui stimule à la fois l’ouverture et l’internationalisation, et donc l’expansion et la sophistication des réseaux mondiaux d’innovation».
C’est pour dire, rappelle le rapport, que les pratiques d’innovation ouverte permettent aux entreprises d’organiser des relations efficaces avec leur environnement : «pour interpréter les demandes émergentes des marchés, imaginer des solutions innovantes et puiser dans les ressources scientifiques et technologiques externes nécessaires à leur réalisation».
4- Si la recherche de l’excellence induit, par ailleurs, des concentrations territoriales de connaissances et de capacités créatives, elle suscite aussi des besoins de connexions avec les différents pôles pertinents à l’échelle mondiale. Les entreprises comme les territoires doivent donc «apprendre à simultanément nourrir des compétences internes et développer des réseaux efficaces».
Dans ce contexte, «l’intervention publique doit adapter certains de ses instruments et, plus fondamentalement, modifier certaines de ses perspectives. Depuis les années 1980, les politiques publiques en faveur de la recherche et de l’innovation ont évolué sensiblement, en partie en réponse au développement des pratiques des entreprises, mais sans s’appuyer sur une analyse stratégique de leurs réseaux mondiaux. Depuis les années 1990, les analyses en termes de systèmes nationaux d’innovation ont influencé de plus en plus nettement les politiques publiques. Cette influence s’est notamment traduite par l’intérêt croissant pour les interactions entre la recherche publique et la recherche privée, ainsi que pour les écosystèmes de l’innovation et la promotion de pôles de recherche et d’innovation».
En même temps, la diffusion de pratiques d’innovation ouverte dépend du degré de développement de l’ensemble des infrastructures de l’ouverture. Les politiques publiques «peuvent les promouvoir pour assurer que les différentes transactions le long de la chaîne de l’innovation soient les moins coûteuses possibles, sans pour autant générer d’effets pervers en termes de qualité de la recherche ou d’incitation à innover».
Les autorités publiques peuvent notamment jouer un rôle dans le développement de la confiance entre acteurs de l’innovation, institutions publiques et privées, entreprises leaders et nouveaux entrants, ou encore clients et fournisseurs. Ainsi, les politiques de pôles, dans la mesure où elles mettent l’accent sur la coopération entre les acteurs de la chaîne de l’innovation et cherchent à promouvoir des réseaux locaux, semblent devoir contribuer à développer l’innovation ouverte.
Rubrique « Lu Pour Vous »
9 décembre 2010