Les radios privées inexpérimentées
La libéralisation des ondes au cœur d'une étude du Centre marocain pour les études et recherches contemporaines.
"Entre la réalité de la pratique et le défi d'instaurer des médias qui répondent aux exigences de l'époque » tel est l'intitulé du thème débattu, samedi dernier, lors de la rencontre organisée par le Centre marocain pour les études et recherches contemporaines (CMERC) à la Bibliothèque Nationale du Royaume.
L'expérience marocaine des radios privées a fait l'objet d'une profonde recherche de la part du Dr Ali El Bahi, membre du CMERC. Celui-ci s'est basé, dans sa démarche, sur des statistiques relevant d'un suivi permanent de toute une année de diffusion.
Tout en faisant état des résultats de son étude, Ali El Bahi n'a pas manqué d'étaler les problématiques d'approches de ces radios qui ne répondent ni aux exigences du large public ni aux dispositions définies dans les cahiers des charges.
D'où les questions qui s'imposent d'elles-mêmes, après quatre années d'expérience, pour rendre compte de l'état de ce grand chantier lancé pour libéraliser le secteur de l'audiovisuel. Des interrogations ont été soulevées autour du rendement de ces radios depuis leur naissance, il y a quatre ans déjà.
Des résultats positifs ont été enregistrés mais des dérapages ont également été soulignés. Certains ont qualifié cette expérience de modeste n'ayant apporté aucune valeur ajoutée au paysage audiovisuel. D'autres ont conclu que quatre années sont insuffisantes pour se prononcer sur ce projet. Une 3ème opinion s'est dite favorable pour cette privatisation qui a constitué un levier pour la diversité du secteur. Mais, en face de toutes ces opinions reste posée, avec acuité, la problématique de la qualité du produit, de la langue, de la sensibilisation, de l'amélioration du goût et de l'information du citoyen.
Autant de manquements qui ont été relevés, tour à tour, par les intervenants lors de cette rencontre marquée par l'absence d'un représentant de la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle).
Le Dr Yahya El Yahyaoui a été on ne peut plus clair dans son intervention en pointant du doigt le grand absent, HACA et en qualifiant ces radios privées d'une véritable boucherie linguistique. «D'abord, je déplore l'absence de la HACA qui, normalement, doit être la première à assister à ce débat qui la concerne en premier lieu. Pour en revenir à notre sujet, nous devons savoir que cette libéralisation a touché uniquement les radios. Donc, la valorisation du paysage reste mutilée, car la télé a un rôle primordial pour mettre en valeur cette libéralisation. On peut, toutefois, parler d'une valeur ajoutée, il faut seulement définir par rapport à qui, à quoi et selon quels critères".
Il a évoqué à ce sujet le principe de la diversité qui fait sortir le citoyen de la routine, la diffusion du direct abordant des sujets assez sensibles, l'ouverture sur un marché plus large, etc. Mais, sans pour autant éviter beaucoup de points noirs, notamment celui de la qualité, de la compétitivité, du manque de professionnalisme des animateurs. "Comment peut-on permettre à des jeunes, soi-disant des journalistes, qui n'ont rien à voir avec la presse, de débattre de sujets très sensibles dans le domaine politique, social ou autre. C'est très dangereux. Il faut être très vigilant sur ce point. On ne doit pas donner le micro à n'importe qui. Le journalisme est un métier qu'il faut maîtriser et respecter avant de l'exercer », souligne Yahya El Yahyaoui qui précise que cette question des radios privées n'est pas uniquement adressée à la HACA mais doit aussi être posée au Parlement.
L'intervention de Mustapha Taleb, professeur de l'audiovisuel, a porté, entre autres, sur l'identité marocaine.
«C'est une question qui se pose beaucoup plus maintenant qu'avant, car elle entraîne avec elle le problème de la langue, des valeurs et des principes marocains. Lorsqu'on allume ces radios, on ne sait plus où on est? Aucun respect de la langue, pas de formation professionnelle, pas de responsabilité.
Ces radios constituent une rupture entre l'ancienne génération et celle d'aujourd'hui», précise M. Taleb.
L'ex-doyen de l'université Aïn Chock, en sa qualité de professeur universitaire, a trouvé que le sujet devient, en effet, très préoccupant, vu le chiffre des auditeurs que ces radios drainent (environ 3 millions) chaque jour. «Je pense que l'orientation de ces radios vers des programmes de divertissement a été ciblée depuis le départ, sans parler de la dégradation qu'a subie la langue arabe qui est utilisée et qui est une véritable "langue de la rue" », a-t-il soulevé. Le professeur universitaire et responsable du réseau MFM, Miloud Belkadi, a qui a été posée la question de la langue dans les instituts de formation des journalistes a rétorqué : «C'est ce que nous trouvons sur le marché. Ce sont tous des lauréats des Instituts de journalisme, D'ailleurs, il faut voir les conditions dans lesquelles ces journalistes travaillent. Ce n'est pas à mon niveau de régulariser tous ces problèmes que vous avez cités. C'est à l'Etat de le faire », conclut-il.
A la fin de cette rencontre, le directeur du Centre marocain pour les études et recherches contemporaines, Mustapha El Khalfi, a souligné l'importance de cette expérience qu'il faut, selon lui, renforcer, en révisant les textes des cahiers des charges et en faisant appel à la société civile pour prendre ses responsabilités.
Après le processus juridique datant du 31 août 2002, la libéralisation du secteur audiovisuel a été lancée concrètement le 17 mai 2006, avec l'octroi, par la HACA, de dix licences pour les radios Aswat, Atlantic, Cap Radio, Chada FM, Hit Radio, Saiss FM, Souss FM, Atlas FM, Radio Plus Marrakech, Radio Plus Agadir.
Une autre phase, faisant suite à ce processus, a mis fin à la monopolisation, par l'Etat, du domaine de la diffusion radiotélévisuelle en vertu du décret de loi 663-02-2, du 10 septembre 2002, renforcée, le 7 janvier 2005, par le décret 257-04-1 qui stipule la structuration et la marche du secteur libéralisé. Ce qui a donné un nouvel élan à ce chantier en le renforçant, le 29 février 2009, par quatre autre radios privées, notamment Méd Radio, Radio Mars, Médina FM et Radio Lux, sans oublier de signaler la présence médiatique française et américaine à travers les Radios Sawa et Médi1.
22 décembre 2010