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«L’acteur et le système »

Crozier. M, Friedberg. E, Seuil, 1977, 500 p.

1- Michel Crozier et Erhard Friedberg définissent ce livre «comme un manuel, non pas de sociologie des organisations, mais de sociologie de l’action organisée». Se basant sur l’analyse stratégique, cette méthode se positionne, pour eux, sur le plan des relations de pouvoir entre acteurs et des règles implicites qui gouvernent leurs interactions, et qu’ils appellent «jeux».

L’analyse stratégique, affirment les auteurs, utilise les attitudes comme «un outil de recherche commode et imparfait» pour découvrir ces jeux, et l’organisation est vue comme «le royaume des relations de pouvoir, de l’influence, du marchandage et du calcul» et comme «un construit humain qui n’a pas de sens en dehors des rapports de ses membres».

Le pouvoir dans tout cela, notent les auteurs, est défini comme «une relation structurante caractérisée par le déséquilibre d’une relation qui est réciproque, et par la possibilité de certains individus ou groupes d’agir sur d’autres individus ou groupes.

Dans ces relations de pouvoir les contraintes cohabitent avec une part de liberté qui est à défendre, à gagner, à élargir au moyen de la négociation, la négociation comme stratégie de construction avec ce qu’elle contient de frustrations et de satisfactions», les actions individuelles construisant une capacité collective propre, c’est à dire irréductible à celle de ses membres, au moyen de l’apprentissage à domestiquer les conflits et phénomènes de pouvoir au lieu de les étouffer. C’est ce que les auteurs appellent un système d’action concret.

«Un système d’action concret est un ensemble humain structuré qui coordonne les actions de ses participants par des mécanismes de jeux relativement stables et qui maintient sa structure, c’est à dire la stabilité de ses jeux et les rapports entre ceux-ci, par des mécanismes de régulation qui constituent d’autres jeux».

Cette vision souligne, selon ce manuel, l’importance des choix et de la décision et donc des outils de compréhension de ces mécanismes, «en traitant notamment du rapport entre la rationalité du décideur et la rationalité du système pour passer à la rationalité de l’acteur : la rationalité limitée, par opposition à une rationalité réductrice et en tenant compte des rationalités conflictuelles». 

Il s’agit ici d’orienter les décisions par la définition du problème plus que par une lutte sur les coûts et avantages, et de prendre conscience de l’importance de la pertinence de l’information sur laquelle repose les choix. Les auteurs attirent à ce niveau, l’attention sur la relativité des outils et concepts souvent utilisés pour faire un diagnostic, ceux-ci renvoyant trop souvent à la microculture du décideur, alors que tout repose justement sur un bon diagnostic, et sur la nécessité de connaissance des systèmes.

Et les auteurs de penser, que contrairement aux idées qui circulent, «les acteurs ne sont pas attachés à leurs routines et sont prêts à changer rapidement s’ils sont capables de trouver un intérêt dans les jeux qu’on leur propose». Mais le changement, «apprentissage de nouvelles formes d’actions collectives, de nouveaux jeux, nécessite cependant une rupture avec les anciens jeux. L’inévitabilité des crises est donc soulignée, tout comme le risque qu’elles produisent l’effet inverse, c’est à dire le renforcement des mécanismes d’adaptation, voir des régressions…tout changement  constitue toujours un pari, une rupture calculée».

D’où l’intérêt de la logique de négociation et de médiation, dans le respect des parties, attendu qu’ «une négociation peut être la plus subtile des manipulations … mais toute intervention est dangereuse comme toute initiative humaine», le tout s’articulant et se comprenant à partir de la finalité poursuivie par l’acteur et de la représentation qu’il en a. C’est d’ailleurs le sens de toute politique de changement qui appelle compromis et arbitrage entre des finalités contradictoires.

Et c’est même le sens de la mise en avant de l’inévitabilité des relations de pouvoir et leur marge de liberté qui garantit, d’après les auteurs, qu’il n’y a pas de déterminisme et permet d’affirmer que «nos construits sociaux ne peuvent être que contingents».
 

Rubrique « Lu Pour Vous »

3 février 2011

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