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«Informatique : servitude ou libertés ?»

Poncelet. C (Sous la direction), Rapport, Sénat, novembre 2007, 135 p.

1- En introduction à ce rapport, Alex Turk, Président de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés, dit ceci : «j’aurais préféré l’expression Servitude et libertés, car…il se trouve que j’ai le sentiment que nous vivons aujourd’hui dans une société où la servitude et la liberté se partagent autour de la problématique de l’informatique».

Il continue, pour préciser sa position : «je crois que fondamentalement nous vivons dans une société de surveillance. La vraie question est donc de savoir comment on peut essayer de vivre dans cette société tout en exerçant une espèce d’auto vigilance. Il y a ceux qui se demandent comment éviter d’entrer dans cette société et ceux qui se demandent comment y vivre. D’une certaine façon, ils se rejoignent, car tous ceux qui ont des responsabilités dans ce domaine, se demandent comment assurer le progrès économique et social et en même temps assurer le mieux possible la préservation des libertés fondamentales».

En effet, pense-t-on, la biométrie, la géolocalisation, la vidéosurveillance, les lignes éthiques, les fichiers positifs sur l’endettement des particuliers, les fichiers d’infractions…etc, tous ces moyens sont et source de sécurité et support de surveillance.

Toute la problématique se réduirait autrement, à analyser l’interdépendance entre trois facteurs : la norme ou l’édiction de la norme, puis la fabrication implicite des normes que peut produire la technologie, et enfin le marché. Il s’agit de voir comment ces trois secteurs, le secteur juridique, le secteur technologique, le marché, pouvaient interagir.

2- Si l’après 11 septembre a suscité la mise en place d’une interopérabilité mondiale et transformé la biométrie en technologie de souveraineté, c’est parce que l’enjeu est abordé sous trois angles :

- Sous l’angle d’abord de la protection de l’identité humaine, car l’identification biométrique ne doit en aucun cas porter atteinte à l’identité humaine, aux droits de l’homme, à la vie privée, aux libertés individuelles ou publiques.

- Sous l’angle juridique ensuite des conditions de licéité des traitements de données à caractère personnel, le principe étant l’interdiction de collecter ou de traiter certaines catégories de données, en tête desquelles se trouvent toutes les données qui pourraient faire apparaître directement ou indirectement les origines raciales ou ethniques des personnes, les opinions et les appartenances (politiques, philosophiques, religieuses, syndicales) ou les données relatives à la santé et à la vie sexuelle.

- Sous l’angle pratique enfin des formalismes auxquels sont soumis les traitements comportant des données biométriques nécessaires au contrôle de l’identité humaine, les procédures n’étant toutefois pas les mêmes, selon que les traitements sont mis en oeuvre par des entreprises ou par l’État, qu’ils relèvent d’un usage répandu ou qu’ils concernent la sûreté de l’État, la défense et la sécurité publique.

Ces trois points de vue philosophique, juridique, pratique ont une importance particulière au regard d’un double choc, estime le rapport :

°- Le choc technologique d’abord que constitue le progrès très rapide des technologies biométriques, qu’il s’agisse de la numérisation de certaines caractéristiques que l’on savait saisir depuis longtemps (photos, empreintes digitales, empreintes vocales), de détection de nouveaux moyens biologiques (iris, ADN, odeur, etc.), ou de perfectionnement de logiciels de reconnaissance automatique des formes.

°- Le deuxième choc est de caractère sociétal voire civilisationnel, avec la montée de toutes les questions relatives aux enjeux de sécurité, au premier rang desquels figure le terrorisme international dont «l’universalité de la menace est telle que certains considèrent les démocraties comme engagées dans une sorte de 3ème guerre mondiale».

La mise en perspective de ces trois questions est fondamentale, car l’on considère que quelqu’un qui travaille à Manhattan par exemple, laisse derrière lui chaque jour 75 images de son visage sur les systèmes de vidéosurveillance. Les Londoniens dépassent 200 dès lors qu’ils sont au volant d’une voiture.

3- C’est pour dire, affirme le rapport, que le risque majeur de l’informatique allait consister en un «achèvement du mouvement séculaire de quadrillage de l’identité humaine par l’identité administrative et en un enracinement brusque et direct de cette identité administrative dans une identité biologique et corporelle».

Internet joue un rôle d’accélérateur dans ce tourbillon, car l’attractivité du nouvel espace public que constitue le Web est telle que «beaucoup d’applications qui s’y développent, ont des impératifs de sécurité inconciliables avec la mentalité libertaire qui y règne».

Mais ce qui accélère vraiment les dérèglements de la spirale, c’est le couple internet/terrorisme : les démocraties utilisent les technologies d’information pour traquer le terrorisme, les terroristes utilisent internet pour s’organiser. Il s’agit en quelque sorte de deux frères ennemis.

Rubrique « Lu Pour Vous »

26 mai 2011

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