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«Mémoires croisées»

Larcher. S, Rapport, Sénat, Paris, mai 2012, 73 p.

En introduction à ce rapport, l'on lit: "travailler sur la mémoire, c’est, en premier lieu, faire patiemment, prendre corps à l’histoire de chacun des pays et de chacun des peuples. Ce travail accompli, croiser les mémoires permet de les faire vivre. En effet, il ne s’agit pas de se recroqueviller sur son lieu, il s’agit de le connaître afin d’être ouvert à tous les lieux du monde".

Croiser les mémoires, c’est donc "faire oeuvre salutaire en combattant l’ignorance, terreau de la peur et de la fragmentation de la société. Aimé Césaire affirmait qu’il y a deux manières de se perdre «par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’universel»".

Plus concrètement, note le rapport pour le cas de la France, "l’histoire de la colonisation est celle de la fabrication du consentement à l’injustice. Cela donne lieu à la création de discours justificatifs racistes, culturalistes ou paternalistes, car il faut qu’une majorité de citoyens acceptent par adhésion au discours colonial ou par indifférence qu’aux colonies, d’autres citoyens français n’aient pas les mêmes droits qu’eux. Mais ces personnes ne nous sont pas étrangères, je veux dire qu’elles sont nos semblables. Les mettre hors humanité, c’est à bon compte se mettre du côté du bien, du côté des victimes ou des bienfaiteurs et les renvoyer à être des bourreaux. Cette posture n’aide en rien à la construction d’une morale publique".

Mais au fond, pourquoi vouloir mettre ces mémoires en conversation, pourquoi vouloir croiser ces histoires?, s(interroge le rapport. Et de répondre que c'est "pour dépasser une fragmentation, une segmentation qui est le produit d’une gestion libérale, d’un multiculturalisme qui s’inspire du modèle des expositions coloniales – à chaque territoire, son pavillon, à chaque mémoire, son monument – et écarte les échanges, les circulations, les créations hybrides, les ruptures, les accidents et surtout cette dimension de l’inattendu, de l’imprévisible qui fait qu’il y a de l’histoire".

Cette "gestion" referme, empêche de voir ce qui est commun, ce qui est en partage. Elle met en rivalité des récits qui pourtant s’interrogent, interagissent entre eux, circulent, se reconfigurent. "Si nous refusons de croire que le passé colonial n’aurait eu aucune incidence sur le présent, nous ne pouvons pas non plus accepter une approche qui nous diviserait, nous opposerait inévitablement les uns aux autres.

La gestion étatique multiculturelle et communautariste met inévitablement les mémoires en rivalité en accordant à tel groupe un monument, une reconnaissance qui s’inscrit plus dans une logique clientéliste que dans un objectif d’éducation civique. Il en résulte alors un sentiment qui fait que, si quelque chose est donné à un groupe, un autre perçoit cette reconnaissance comme lui faisant de l’ombre. Cette gestion signale en creux deux écueils à éviter : la fragmentation et la rivalité".

C'est pour dire, affirme le rapport, que "la longue l’histoire de la colonisation est inséparable de mémoires de mépris, de non-reconnaissance de cultures, de langues, de savoirs et de leur marginalisation, de souvenirs de crimes, de répression politique et de non respect des droits. Elle est aussi l’histoire de rencontres et d’échanges, de ces formes imprévisibles et inattendues qui échappent aux hégémonies".

Cependant, chaque groupe perçoit le dommage subi comme unique et ressent comme une menace de minoration de son expérience toute tentative de lier son histoire à celles d’autres groupes. Comment procéder alors pour croiser ces mémoires et ces histoires, pour éviter la victimisation ou la culpabilisation, qui toutes deux mènent au repli et par contre retisser les liens de solidarité ?

Quand il s’agit de demandes de reconnaissance publique, deux formes de processus sont offerts : "la justice punitive, avec un système pénal habité par le culte de la loi et structuré de manière verticale, et la justice réparatrice opposée à la logique du tribunal et du procès et qui a pour objectif le bien-être de la communauté.

Cette dernière s’adresse aux êtres humains qui vivent les uns à côté des autres. Elle cherche à restaurer les relations qui n’auraient jamais dû être brisées".

Elle est sans doute imparfaite, mais elle aspire à tenir à égale distance la vengeance et l’impunité totale.

Rubrique « Lu Pour Vous »

6 décembre 2012

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