Fort. M. L, Lambert. J, Assemblée Nationale, Paris, février 2012, 260 p.
1- En introduction à ce rapport, l'on lit: "le choix de la Chine de se transformer en atelier du monde pour nourrir sa croissance, a été déterminant dans l’avènement du monde multipolaire. Son industrialisation massive par l’ouverture aux capitaux étrangers en a fait le centre de transformation et d’exportation des produits d’Asie vers les pays avancés, et a conduit au basculement du centre de gravité de l’économie mondiale vers l’Asie où vit désormais 60% de la population mondiale''.
En effet, la Chine s’est hissée aux premiers rangs du commerce mondial et a soumis les industries des pays avancés à une rude concurrence. Son appétit en énergie et en matières premières "a mis ces marchés sous pression, a renforcé l’urgence écologique et a accéléré la nécessité de réformer le modèle de développement des pays avancés fondé sur la consommation des énergies fossiles qui n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète".
Sa gestion avisée pour se protéger de la crise de 2008, et maintenir sa croissance, "a renforcé sa position relative dans la construction du nouvel ordre économique mondial par rapport à des partenaires occidentaux affaiblis par une crise dont ils sont à l’origine".
La Chine et l’Union européenne sont des acteurs majeurs de la mondialisation à partir d’une double réussite : celle du modèle spécifique de croissance de l’État-continent le plus peuplé du monde, et celle du modèle d’intégration d’un continent d’États sans précédent historique.
La Chine et l’Union européenne ne sont pas seulement deux acteurs déterminants de la gouvernance mondiale en construction, ''elles sont également les partenaires d’une relation bilatérale rapprochant presque deux milliards d’êtres humains et deux grandes civilisations".
La Chine s’efforce d’inventer par expérimentations successives une combinaison originale entre l’économie de marché et le régime autoritaire du parti unique, le mercantilisme et le protectionnisme, l’interventionnisme étatique et la décentralisation. Le plan central donne les orientations générales pour cinq ans, mais ne décide plus dans un pays qui a fait le choix de l’internationalisation, de l’industrialisation, de l’urbanisation et de la privatisation.
La Chine a développé "un modèle de croissance fondé sur l’exportation s’appuyant sur des coûts de production faibles, une production de masse servie par un exode rural massif et continu, une sous-évaluation monétaire permanente et une accumulation du capital et de l’investissement au détriment de la consommation"..
Ce modèle de croissance par l’exportation présente cinq particularités:
+ La Chine applique le mercantilisme afin de répondre à la nécessité de vendre des produits manufacturés aux pays avancés pour importer des matières premières et de l’énergie dont la Chine est démunie pour tirer sa croissance interne et développer son marché.
+ Elle suit le chemin tracé précédemment par le Japon et les quatre dragons asiatiques fondé sur l’investissement, la compétitivité industrielle, l’accumulation d’excédents et la puissance financière, à une différence de taille près : "elle a fondé son modèle exportateur sur l’ouverture aux entreprises multinationales des pays avancés qu’elle a accueillies dans des zones économiques spéciales uniquement sous contrôle étranger et à destination de la réexportation. Leurs investissements représentent un stock de plus de 1.000 milliards de dollars dont 100 milliards en 2010. Plus de 300.000 entreprises étrangères assurent environ 25% de l’activité nationale et près de 65% des exportations chinoises".
+ Elle a adopté une logique de spécialisation productive, à partir de son faible coût du travail et du capital, le coût salarial unitaire moyen de la Chine approchant, en 2010, 60% de celui des États-Unis et moins de 50% de celui de la zone euro ou de la France.
+ Elle a fait du rattrapage technologique sa priorité et ce en constituant des entreprises partagées (joint-ventures) avec les entreprises étrangères implantées sur son territoire en vue de s’assurer des transferts de technologie.
Le gouvernement chinois "estime qu’environ 40% des transferts de technologie réalisés en Chine ont l’Europe pour origine. La part des produits de haute technologie dans les exportations chinoises a doublé entre 1995 et 2008 pour atteindre 32%, et la Chine a ravi aux États-Unis la place de premier exportateur mondial de produits de haute technologie depuis 2005".
La montée en gamme s’appuie également, sur l’amélioration du niveau d’éducation de la population active. "Le nombre de diplômés de l’université est passé de 25 millions en 1996 à 84 millions en 2008, avec une proportion de la population active urbaine très proche de celle de la France ou de l’ensemble l’Union européenne".
La Chine dispose ainsi d’une capacité de recherche croissante lui permettant de soumettre l’accueil des entreprises étrangères sur son marché à un transfert de savoir-faire de plus en plus exigeant.
+ Elle a mené une politique de segmentation du processus de production entre les pays d’Asie qui la place au centre de l’intégration productive régionale.
Ainsi, les entreprises multinationales ont délocalisé les phases de la production en fonction des avantages comparatifs des pays d’Asie et elles ont placé la Chine au centre de la segmentation des processus de production entre les pays d’Asie. La Chine importe d’Asie des produits qu’elle assemble et transforme pour les réexporter vers les États-Unis et l’Union européenne.
Une première conclusion s’impose à l’Union européenne, note le rapport : "elle doit prendre en compte ce système productif intégré dont la Chine est le moteur, et inscrire le développement de son partenariat commercial et stratégique avec la Chine dans une vision plus large, englobant l’Asie et ne négligeant pas les autres pays de la région dans une approche trop fragmentée".
2- Cette stratégie graduelle de long terme conduite avec constance par les autorités chinoises a fait de la Chine un géant économique avec une rapidité qui n’a pas de précédent historique.
Premier manufacturier du monde, "la Chine est devenue le premier exportateur mondial devant l’Allemagne en 2009 et pèse près de 10% des exportations mondiales en 2010 au lieu de 5% dix ans avant (et même 12% au lieu de 3% si l’on exclut le pétrole livré par la Russie et l’OPEP)".
Avec un PIB de 5 878 milliards de dollars en 2010, la Chine est devenue la deuxième puissance économique du monde devant le Japon et derrière les États-Unis (14 527 milliards de dollars). Les États membres de l’Union européenne ne reprennent leur premier rang au sommet de la hiérarchie mondiale qu’en regroupant leurs forces au sein de l’Union européenne (16 242 milliards de dollars dont 12 168 milliards pour la zone euro)".
La Chine a établi avec l’Europe et les États-Unis les deux principaux axes commerciaux du monde. Elle est devenue le premier fournisseur de l’Union européenne en 2009 et son troisième client (après les États-Unis et la Suisse), l’Union européenne est devenue son deuxième fournisseur (après le Japon) et son premier client.
Cette indépendance commerciale "s’est muée en interdépendance financière avec une politique d’accumulation de réserves transformant les excédents commerciaux de la Chine en placements massifs aux États-Unis et, secondairement, en Europe. La Chine est enfin devenue le premier partenaire commercial d’un nombre croissant de pays comptant parmi les plus grands exportateurs mondiaux et les principaux émergents : Allemagne, Japon, Corée du Sud, Brésil notamment".
Avec une capacité exportatrice apparemment irrésistible et un revenu moyen par habitant encore limité, la Chine, vue de l’extérieur, apparaît comme la deuxième puissance mondiale et, vue de l’intérieur, comme un pays en développement confronté à la pauvreté relative d’une masse de 700 millions de paysans.
Le pays se heurte également au "risque d’épuisement des ressources naturelles en raison de sa surconsommation énergétique puisque, si sa croissance continuait au même rythme, la Chine consommerait dans quinze ans 75% du pétrole mondial".
Une interrogation s'impose toutefois, observe le rapport: elle porte sur "la capacité d’une superpuissance autoritaire d’exercer un leadership mondial et de séduire un monde ouvert, fondé sur la liberté de communication entre individus par-dessus les frontières et les hiérarchies. La Chine souffre aujourd’hui d’un modèle instable avec une bulle immobilière et un système bancaire fragile et elle est en réalité plus défensive qu’hégémonique parce qu’elle a déjà fort à faire avec ses problèmes intérieurs".
3- Après s’être longtemps concentrée sur son rattrapage économique, la Chine a compris qu’elle ne pourrait pas être une puissance globale comme les États-Unis sans renforcer son pouvoir culturel pour promouvoir son image et son influence dans le monde.
Toutefois ces moyens d’influence ne suffiront pas à la Chine pour exercer un leadership mondial. "Il lui sera difficile de concurrencer le modèle occidental sans définir un message universel attractif sur la vision de l’avenir du monde. La capacité à innover est l’une des forces d’attraction du modèle occidental et pose la question de savoir si cette capacité peut se développer sans un État de droit sécurisant protecteur de la liberté de création. En d’autres termes, une superpuissance autoritaire pourra-t-elle séduire une opinion publique mondiale pratiquant quotidiennement la libre circulation des idées hors des structures étatiques ?".
4- Les relations bilatérales entre l’Union européenne et la Chine sont construites autour d’un partenariat stratégique depuis 2003. "Les relations économiques sont régies par le dialogue économique et commercial de haut niveau, le comité mixte Union européenne-Chine, des réunions de hauts fonctionnaires et des groupes de travail. Dans ce cadre, on ne dénombre pas moins de vingt cinq dialogues, sous des formes différentes allant d’échanges informels, à des troïkas ou des réunions annuelles officielles".
Il existe ainsi, sur les trois piliers, plus d’une cinquantaine de dialogues dont la grande faiblesse est l’absence de cohérence d’ensemble, l’Europe négociant avec la Chine sans avoir défini de stratégie globale. De plus, "l’efficacité de la négociation au sein de ces dialogues souffre d’un manque de coordination technique. Ces dialogues sont en effet éparpillés au sein des différentes institutions européennes, chacune étant désireuse d’avoir son dialogue propre avec la Chine dans son champ de compétence, ce qui nuit à la lisibilité des circuits de décisions".
Ce manque de coordination ne se retrouve pas uniquement au niveau horizontal, c'est-à-dire au sein de l’Union, mais aussi au niveau vertical, c'est-à-dire entre l’Union, les niveaux nationaux et les niveaux infranationaux. "Les États membres, voire chaque région ou ville, mènent leur propre politique à l’égard de la Chine, hors activité de l’Union. Ce manque de coordination doit être envisagé dans le contexte des tensions internes au sein de l’Union européenne qui influencent la politique commerciale vis-à-vis de la Chine. Tous les États membres ne tirent pas avantage du progrès des échanges commerciaux avec la Chine, dans la mesure où celle-ci menace les emplois et expose certains secteurs à une forte concurrence".
Il manque à l’Europe les attributs d’une puissance globale pour définir une stratégie commune et pouvoir négocier en position de force.
En ce sens, moins l’Europe est fédérale et plus cela lui convient et elle préfère jouer des relations bilatérales avec chacun des États membres.
La Chine a conscience que l’Europe est un marché très important mais elle ne la considère pas comme un partenaire suffisamment cohérent pour justifier des concessions fortes.
Rubrique « Lu Pour Vous »
20 décembre 2012