De la Raudière. L, Ministère de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, Paris, mai 2012, 32 p.
La neutralité du net est définie dans ce rapport comme "le principe selon lequel toutes les informations sont acheminées sans discrimination sur les réseaux. Ce principe, qui correspond au mode de fonctionnement historique de l’internet, a largement contribué à en faire l’instrument fondamental qu’il est devenu pour le développement économique et la liberté d’expression".
Or depuis quelques années, note ledit rapport, il a été remis en cause, sous l’influence notamment de l’accroissement du trafic et du développement des usages, légaux et illégaux, qui ont conduit certains opérateurs mais aussi certains propriétaires de droits d’auteurs, à défendre des pratiques allant contre la neutralité.
Le débat couvre aujourd’hui trois questions concrètes :
- la gestion de trafic (blocage, dégradation ou priorisation de certains flux), réalisée à l’initiative de l’opérateur pour des motifs technico-économiques ou commerciaux,
- l’interconnexion comme modalités techniques et économiques d’échanges d’information entre opérateurs et fournisseurs de services sur internet,
- et le filtrage suite à des obligations légales de bloquer certains flux.
Le débat sur la neutralité de l'internet s’est d’abord développé aux États-Unis où il a été popularisé par le juriste américain Tim Wu et par le régulateur américain des télécoms qui a publié dès 2005 une "Position politique concernant l’internet" où il se déclarait en faveur du respect du principe.
En Europe, la neutralité du net est devenue un sujet de préoccupation avec l’examen du troisième paquet télécoms, adopté en novembre 2009, qui contenait plusieurs dispositions portant sur ce sujet. Depuis, "dans l’ensemble des pays européens, le débat a été vif par phase, lorsque des problèmes précis sont apparus ou lorsque des documents ont été publiés par les autorités publiques".
En France, le troisième paquet télécoms contenait plusieurs dispositions relatives à la neutralité du net, notamment des dispositions :
- fixant comme objectif aux autorités réglementaires nationales de promouvoir la neutralité de l’internet,
- obligeant les opérateurs à informer les consommateurs sur les niveaux de qualité de service fournis et les mesures de gestion de trafic mis en oeuvre,
- et offrant la faculté aux autorités réglementaires nationales de fixer un niveau minimal de qualité de service.
Ces seules dispositions ne garantissent pas complètement le respect de la neutralité du net. En application du troisième paquet télécoms, les régulateurs nationaux disposent désormais de la "faculté de fixer des exigences minimales de qualité de service" afin de "prévenir la dégradation du service et l’obstruction ou le ralentissement du trafic sur les réseaux".
Il s’agit là d’une simple faculté offerte aux régulateurs, qui suscite certains débats au niveau européen sur ses modalités d’application : "permet-elle seulement d’imposer des obligations en cas de situation spécifique de dégradation de service(s) par un ou plusieurs opérateurs (baisse du débit de l’internet, blocage, différenciation des flux, etc.), ou autorise-t-elle l'imposition d'exigences génériques de qualité à l’ensemble du marché ?".
L’Europe n’était pas mobilisée sur la neutralité du net jusqu’au troisième paquet télécoms. Le Parlement européen a adopté le 17 novembre 2011 une résolution sur l’internet ouvert et la neutralité de l’internet, enjoignant à la Commission européenne d’étudier l’opportunité d’adopter des mesures allant au-delà de celles prévues dans le paquet télécoms. Le Conseil de l’Union européenne a exprimé une position similaire dans ses conclusions du 13 décembre 2011.
Cette chronologie met en évidence la difficulté qu’il y a à encadrer le fonctionnement d’internet au niveau européen : "le délai entre l’élaboration d’une proposition législative et sa mise en oeuvre par les Etats membres est de plusieurs années et, entre temps, les problématiques ont le temps d’évoluer".
Dans sa communication de 2011, la Commission européenne demandait à l’Organe des régulateurs européens de communications électroniques de réaliser une enquête sur les pratiques de gestion de trafic des opérateurs européens. Celle-ci a été réalisée, en s’appuyant sur les régulateurs nationaux, par l’intermédiaire d’un questionnaire auquel ont répondu 250 opérateurs fixes et 150 opérateurs mobiles, soit 90% du marché européen.
Les premiers résultats mettent en évidence que le blocage de la VoIP sur le mobile et la dégradation du peer-to-peer en heure de pointe sont répandus en Europe, les pratiques des opérateurs étant pour le reste très variables. Pour les services de la Commission européenne, ces premiers résultats montrent qu’il existe des entorses au principe de neutralité du net.
En Allemagne, le régulateur fait le constat que la neutralité du net ne constitue pas aujourd’hui un problème car il estime qu’elle est globalement respectée. Les deux difficultés qui se sont posées en matière de neutralité (le blocage de la VoIP sur les forfaits mobiles et l’interconnexion entre Cogent et Deutsche-Telekom, en 2009) ont pu être réglées en faisant pression sur les opérateurs mais sans intervention législative ou réglementaire.
Dans son approche de la neutralité du net, le régulateur britannique a jusqu’ici davantage privilégié les mécanismes de marché. Ainsi les opérateurs ont pris des engagements afin de renforcer la transparence. Ils ont signé un code de bonne conduite en mars 2011 et publient sur internet des fiches standardisées présentant de manière compréhensible les limitations auxquelles sont soumises les offres qu’ils proposent.
En somme, note le rapport, "les informations disponibles sur les pratiques de gestion de trafic pour des raisons technico-économiques ou commerciales des opérateurs mettent aujourd’hui en évidence que le jeu de la concurrence n’est pas suffisant pour garantir la neutralité du net: l’intervention publique est nécessaire pour corriger le marché, au-delà des actions générales visant à renforcer la transparence. En témoigne, le fait que les institutions initialement sceptiques sur l’opportunité d’une intervention publique changent de position lorsque leur réflexion progresse : c’est le cas de la Commission européenne et du régulateur britannique".
Rubrique « Lu Pour Vous »
31 janvier 2013