Erhel. C, De la Raudière. L, Rapport, Assemblée Nationale, Paris, février 2013, 73 p.
1- L’année 2012 aura été marquée, pour le secteur des télécommunications en France par de profonds changements, note le rapport en introduction. En effet, "au-delà de l’entrée, très médiatisée, d’un quatrième opérateur sur le marché mobile, le processus d’attribution des licences mobiles 4G a été finalisé, tandis que le déploiement de la fibre optique s’est poursuivi. Si ces évolutions peuvent paraître positives pour le marché et le consommateur, force est de constater qu’elles ont bouleversé le secteur" et l'ensemble de la filière.
Au-delà des déclarations dans la presse, "les tensions qui pèsent sur le secteur des télécommunications se traduisent concrètement par une vague de procès, qui, pour l’observateur attentif, revêt l’aspect d’un feuilleton judiciaire, spécifique au marché français. Il ne se passe quasiment pas une semaine sans qu’un média annonce l’ouverture d’une nouvelle procédure judiciaire ou une décision de justice impliquant des opérateurs de télécommunications français".
Le secteur des télécommunications a été profondément remanié du fait de l’entrée sur le marché mobile d’un quatrième opérateur. Une recomposition d’ampleur a été rendue possible par l’élargissement à la 3G de l’accord d’itinérance sur la 2G conclu en mars 2011 entre Orange-France Télécom et Free.
Grâce à cet accord, le quatrième opérateur a pu proposer des offres très intéressantes en matière de couverture avant même la réalisation aboutie de son propre réseau, et ainsi capter 2,6 millions d’abonnés en deux mois, entre fin janvier et fin mars 2012. Aujourd’hui, Orange-France Télécom occupe toujours la première place, avec environ 36% du marché, SFR en détient 29%, Bouygues Telecom 15% et Free 5%.
Il faudrait noter, rappelle le rapport, qu'au début des années 2000, "les prix des offres de téléphonie mobile étaient sans doute surévalués en France. En 2005, le Conseil de la concurrence a même condamné les trois opérateurs mobiles à une amende de 534 millions d’euros pour entente illicite. Ayant gelé leurs parts de marché respectives et échangé des informations stratégiques entre 1997 et 2003, les opérateurs ont pu maintenir des tarifs de détail artificiellement élevés". Free, en lançant son offre illimitée à 19,99 euros, a véritablement bouleversé le marché.
Cette baisse des prix s’est muée en chute, de sorte que les prix pratiqués aujourd’hui en France sont les plus bas d’Europe. "Alors que le nouvel entrant a développé une stratégie commerciale agressive, proposant une offre à 19,99 euros comprenant de nombreux services et une offre à 2 euros très attractive, les autres opérateurs ont répondu en baissant drastiquement leurs prix".
La baisse des prix et des revenus a entraîné une recherche de réduction des coûts, qui s’est traduite par des pressions sur l’emploi. Tous les opérateurs «historiques» ont donc annoncé des plans de départs, ou mis en œuvre des actions de diminution de la masse salariale.
– SFR a annoncé la suppression de 1 123 postes dans le cadre d’un plan de départs volontaires, et la création de 267 postes, soit la suppression de 856 postes nets,
– Bouygues Telecom a lancé un plan de départs volontaires touchant 556 postes,
– Orange-France Télécom n’a pas mis en place de plan de départs au sens strict, notamment en raison du statut des employés (environ 60% des salariés d’Orange-France Télécom sont des fonctionnaires), mais a reconnu que les postes libérés par des départs à la retraite ne seraient pas tous pourvus.
2- Malgré leurs différences de taille, tous les équipementiers éprouvent des difficultés dans un contexte de baisse des prix et de concurrence internationale renforcée. ''La libéralisation du secteur des télécommunications et l’ouverture à la concurrence à la fin des années 1990, ont modifié les relations entre opérateurs et équipementiers. En situation monopolistique, l’opérateur historique faisait exclusivement appel aux activités de recherches et développement d’équipementiers nationaux, Alcatel en a été le principal bénéficiaire. Même au cours de la décennie 2000-2010, la très forte croissance du marché a permis aux opérateurs de soutenir l’activité économique des équipementiers.
Confrontés à des marges réduites, ''les opérateurs ont été amenés à réduire les coûts, ce qui s’est notamment traduit par l’exercice d’une pression sur les prix à l’égard des fournisseurs".
C'est que la rapidité des mutations technologiques dans le secteur des communications électroniques a eu pour conséquence de limiter la durée de vie des équipements.
Ainsi, "il est difficile pour un industriel de bénéficier longtemps d’une innovation technologique, ce qui explique l’intensité particulière de la concurrence entre équipementiers. Dans le même temps, les télécommunications constituant par essence un univers interconnecté, les équipementiers doivent faire face à un phénomène de relative standardisation technologique. Cette double évolution explique une concentration du marché des équipements autour de quelques grands acteurs".
Alors que les États-Unis ont fermé leur marché aux industriels asiatiques, notamment en invoquant des risques sécuritaires des réseaux produits par des acteurs comme ZTE ou Huawei, l’Europe est devenue le lieu d’un violent affrontement tarifaire.
Cela est d’autant plus vrai que "les opérateurs ont adopté une stratégie de panachage des achats afin de varier leurs sources d’approvisionnement. Dans le même temps, les industriels chinois ont mis en place une stratégie des plus agressives, en proposant leurs produits à des tarifs défiant toute concurrence, sur lesquels les entreprises historiques (Cisco, Nokia Siemens Networks, Alcatel-Lucent, Ericsson) ne peuvent s’aligner qu’en diminuant leurs marges à l’extrême. Ceci les place en difficulté de financer les activités de recherche et développement, seules susceptibles d’apporter les relais de croissance sur les marchés européens".
La morosité de l’économie mondiale a pénalisé l’ensemble des équipementiers. Ainsi, l’ensemble des équipementiers, y compris ZTE et Huawei, ont enregistré en 2012 un repli de leur activité qui s’explique notamment par un recul du volume global d’investissements des opérateurs dans le monde.
Dès lors, les perspectives des équipementiers sont limitées, et intimement liées à l’établissement d’une réelle stratégie de filière, qui devra notamment conduire à renforcer la responsabilité des clients à l’égard de leurs fournisseurs implantés sur notre territoire.
Au-delà des seuls opérateurs sur lesquels l’attention a tendance à se concentrer, c’est donc l’ensemble de la filière qui est confrontée à de sérieuses difficultés économiques. S’il serait injuste de considérer l’entrée d’un nouvel opérateur sur le marché mobile comme l’unique cause de la contraction du secteur, il apparaît tout de même évident que "par son essor rapide et l’agressivité de ses offres commerciales, le quatrième opérateur a accéléré un mouvement et pris de court un certain nombre d’acteurs que leurs prévisions n’avaient pas préparé à ce choc".
3- Afin d’assurer un développement profitable aux différents agents économiques du secteur, il paraîtrait pertinent, note le rapport, de "mettre en place un ensemble de règles propres à encourager une mise en concurrence équitable et garantissant le respect de valeurs économiques et sociales fondamentales".
En effet, au-delà du seul régulateur sectoriel, la régulation des télécommunications est le fait de l’État et d’autres instances, comme l’Autorité de la concurrence, dont l’implication sur le secteur des télécommunications n’a cessé de croître.
Car, "l’équilibre entre intérêt du consommateur, préservation de la capacité d’investissement des acteurs économiques et sauvegarde de l’emploi semble précaire, tant les décisions successives de la régulation européenne et de la régulation française sont apparues privilégier le développement de la concurrence au service de l’intérêt du consommateur".
Il semble nécessaire aujourd’hui de redéfinir la mission de la régulation, tant au niveau européen qu’au niveau français, pour assurer l’équilibre entre la croissance de la filière et l’intérêt du consommateur.
Rubrique « Lu Pour Vous »
14 mars 2013