Humbert. J. F, Rapport, Sénat, Paris, novembre 2012, 53 p.
Au regard du montant de l’aide attendue et du poids de Chypre dans l’économie européenne, la crise que traverse le pays pourrait presque apparaître anecdotique, note le rapport en préambule. Il n’en demeure pas moins qu’elle révèle, même à petite échelle, «les difficultés du secteur bancaire européen et son implication notable dans la formation d’une bulle immobilière, avec une spécificité dans le cas chypriote : la trop forte exposition des établissements financiers locaux au risque grec».
Les difficultés que traverse Chypre ne sont pas sans rappeler celles qu’ont pu rencontrer l’Irlande ou l’Espagne, confrontées toutes deux à une crise aiguë de leurs secteurs bancaires respectifs. La crise financière mondiale a en effet considérablement fragilisé un modèle économique reposant en large partie sur les activités financières très développées dans l’île depuis 1974.
La spécificité chypriote tient néanmoins à une exposition trop importante au risque grec. A «cette crise bancaire s’ajoutent de réelles difficultés économiques et budgétaires, qui viennent mettre en lumière de nombreux problèmes structurels, alors que le pays n’a plus accès aux marchés financiers pour refinancer sa dette depuis plus d’un an».
Il faudrait rappeler, note le rapport, que l’invasion par la Turquie de la partie Nord de l’île en 1974, a conduit Chypre à redéfinir son modèle économique, désormais tourné vers les services financiers, qui représentent aujourd’hui 76% du PIB.
Les deux principales banques du pays, Bank of Cyprus et Laika Bank, dépassent le seul cadre insulaire puisque la première, qui maille le territoire de l’île avec 147 agences, dispose de succursales en Australie, en Ukraine et en Russie quand la seconde compte 11 000 salariés à l’étranger sur les 20 000 qu’elle emploie.
La fiscalité dans l’Ile est avantageuse, le taux d’imposition sur les sociétés étant fixé à 10% (4,5% avant l’adhésion à l’Union européenne), exonération de taxes sur le paiement des royalties, dividendes et des intérêts, exonération des plus-values de titres, accords de non double-imposition…etc.
Les actifs bancaires représentent aujourd’hui 750% du PIB, révélant de la sorte un système bancaire surdimensionné par rapport à l’économie du pays.
Les actifs de la Bank of Cyprus et Laika Bank représentent respectivement 211% du PIB (38 milliards d’euros) et 190% du PIB (34 milliards d’euros). Les trois premières banques du pays représentent par ailleurs 59,8% de l’ensemble des dépôts à Chypre.
Ses atouts économiques rendent, de fait, l’île très exposée à la conjoncture mondiale, remarque le rapport. L’économie demeure en effet ouverte et caractérisée par un fort recours aux importations.
Cette dynamique reposait en large partie, sur le crédit, dont a grandement bénéficié le secteur immobilier, générant un phénomène de type bulle spéculative, à l’image de ce qu’a connu l’Irlande au début des années 2000.
Le marché a en effet perdu 30% de sa valeur entre septembre 2011 et septembre 2012. La dépréciation des actifs immobiliers détenus par les établissements financiers ne constitue pas, à cet égard, le seul problème. L’Ile a, en effet, autorisé pendant des années une pratique hasardeuse du crédit hypothécaire. «Les banques accordaient ainsi un crédit hypothécaire aux constructeurs/promoteurs qui revendaient ensuite les biens à des acquéreurs, sans pour autant que l’hypothèque soit levée. De fait, si le promoteur est contraint à la faillite, l'acquéreur peut alors perdre son bien. Les banques chypriotes sont même allées jusqu'à accorder des crédits aux acquéreurs sans les informer que le promoteur possédait déjà lui-même une hypothèque antérieure sur ce bien. Le résultat de cette dette accumulée par les promoteurs est aujourd'hui estimé à plus de 7 milliards d'euros».
Aux difficultés des banques s’ajoute, en effet, une croissance atone depuis 2009, en partie imputable à l’explosion de la bulle immobilière. L’année 2012 devrait ainsi se terminer par une contraction du PIB de 2,3%.
Une telle conjoncture n’est pas sans incidence sur la situation budgétaire du pays. Le déficit public atteignait 6,5% du PIB l’an dernier, la dette publique représentant, quant à elle, 71,3% du PIB. Chypre n’a plus accès aux marchés financiers pour refinancer sa dette depuis plus d’un an. Les taux à 10 ans ont, en effet, atteint 11% en octobre 2011.
La situation est d’autant plus délicate pour Chypre que le pays a besoin d’environ 7,5 milliards d’euros pour refinancer sa dette publique d’ici 2016, somme qui vient s’ajouter aux besoins de recapitalisation du secteur bancaire. L’île pourrait même se retrouver «dans l’incapacité de payer ses fonctionnaires et ses retraités en fin d’année. Les salaires de la fonction publique et des arrérages de pensions représentent une dépense mensuelle de 300 millions d’euros par mois. En l’absence de réformes structurelles, la trajectoire de la dette chypriote s’avère, en tout état de cause, inquiétante», d’autant plus que la dépense publique représente 48% du PIB aujourd’hui contre 33% en 1995.
Deux plans de rigueur ont été adoptés depuis le printemps dernier. Le premier prévoyait une réduction du nombre de fonctionnaires d’environ 10% et une contribution de 2,5% sur les revenus des fonctionnaires. Il intégrait également une diminution des aides sociales. Le deuxième plan, adopté en décembre dernier, met en place une taxe de 9% sur certains prêts. Il prévoit dans le même temps un gel des salaires des fonctionnaires sur deux ans.
L’ambition de ces programmes est d’atteindre l’équilibre budgétaire en 2014 et de ramener la dette publique à 65,4% du PIB à l’horizon 2015. Ils demeurent cependant insuffisants au regard de la situation du pays.
Ainsi, et au terme d’une première mission d’évaluation organisée en juillet dernier, la troïka (Banque centrale européenne – Commission européenne – Fonds monétaire international) a établi un premier programme d’ajustement devant permettre d’adopter des mesures ambitieuses pour restaurer la stabilité du secteur financier.
Le document prévoyait notamment le lancement de la privatisation d’entreprises publiques (la compagnie Cyprus Airways serait notamment concernée), la suppression de l’indexation des salaires publics et privés sur l’inflation et la fin du versement du treizième mois dans la fonction publique. Le gel des salaires dans la fonction publique devait être prolongé jusqu’en 2015 et le nombre de fonctionnaires réduit.
Ce projet a été rejeté par le gouvernement chypriote s’opposant catégoriquement à l’indexation automatique des salaires, à l’âge de départ en retraite et à la taxation des entreprises, sous prétexte que cela pourrait entrainer des fuites d’entreprises et engendrer un coût social insupportable, sans parler de l’incidence politique que cela induirait.
Rubrique « Lu Pour Vous »
18 Juillet 2013