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«La protection des biens culturels africains»

Legendre. J, Rapport, Paris, juin 2003, 56 p.

En introduction à ce rapport, Abdou Diouf, Secrétaire Général de l’Organisation internationale de la Francophonie, dit ceci : «le thème de la protection des biens culturels africains…se trouve à la confluence de quelques unes des grandes questions dont la Francophonie a fait ses champs d’intervention privilégiés».

Le projet francophone, continue-t-il, est «une vision globale du monde et de son organisation, dont les règles s’inspirent de valeurs que nous considérons comme universelles et indissociables les unes des autres : démocratie, paix, diversité culturelle et dialogue des cultures pour un développement solidaire et durable».

Et Diouf de situer la problématique dans un horizon plus global : «comment parler de développement durable lorsque les traces d’une histoire commune, constitutive de l’identité d’un peuple, disparaissent sous les assauts du temps, des intempéries ou victimes d’une main criminelle ?».

Et «comment parler de patrimoine quand la faim et la pauvreté, le manque de formation aussi, conduisent à la destruction des sites naturels, des sols et des biotopes ainsi qu’à la vente illicite et au pillage de biens culturels ?».

Par ailleurs, note-t-il, «que restera-t-il de la diversité culturelle si les musiciens, les écrivains, les acteurs, les chorégraphes ou les stylistes africains ne peuvent créer et faire circuler leur production ? Mais surtout, comment pourront-ils enrichir la culture mondiale, aux cotés de leurs collègues d’Europe, du monde arabe, d’Asie ou d’Amérique, si les seules règles marchandes s’appliquent à leurs créations?».

C’est que dans les sociétés qui sont restées proches de leurs traditions, en Afrique, en Amérique ou en Océanie, l’objet, jusqu’à récemment, n’avait pas de valeur monétaire, «il représentait une force, une puissance capable d’influer sur le destin de l’individu ou de la communauté. En Occident, l’esthétique et la qualité artistique l’ont progressivement emporté sur la sacralité. Avec les progrès de la navigation, dès le XVe siècle, les Européens partent à la découverte du monde et reviennent des continents visités avec un nombre toujours plus important d’oeuvres d’art, étant entendu que les oeuvres d’art ont de tout temps voyagé du fait des pillages consécutifs aux guerres ou des échanges de présents».

En Afrique, en Amérique ou en Asie, l’oeuvre d’art a d’abord une fonction spirituelle et religieuse. Sacrée, elle n’est la propriété de personne et ne peut être vendue. Avec le pillage systématique, «les peuples de ces continents sont dépossédés d’objets rituels et cultuels importants. Le pillage va s’intensifier durant la période coloniale, pour combler le désir d’exotisme des populations européennes. Militaires, fonctionnaires de l’administration coloniale, civils et chercheurs, forts de leur pouvoir et de leurs privilèges, s’en donnent à coeur joie. Les objets arrachés de force aux communautés autochtones sont désacralisés, parce que soustraits à leur contexte originel. Beaucoup arrivent en Europe sans information sur leur origine, leur fonction ou leur créateur».

Se constituent rapidement hors d’Afrique d’importantes collections d’oeuvres d’art de toutes tailles et de tous usages au profit de particuliers, dont elles font la fortune, ou de musées spécialisés dans les arts dits «nègres» ou «premiers», Musée de l’Homme à Paris, British Museum à Londres ou Musée royal de Tervuren en Belgique.

L’indépendance de la plupart des États africains, dans les années 1960, n’a pas mis fin au trafic illicite, celui-ci s’est au contraire développé, grâce aux profits qui en sont tirés, vers de nouveaux débouchés.

Les complices africains, conscients ou inconscients, du trafic appartiennent à tous les milieux. «Les acteurs professionnels sont ces antiquaires sans foi ni loi qui, installés dans les grands centres urbains, sillonnent les villages à la recherche d’oeuvres dont commandes leur ont été passées. Ils s’appuient sur des relais locaux, le plus souvent des jeunes désœuvrés appartenant aux familles dépositaires ou gardiennes des objets sacrés, qu’ils corrompent pour peu d’argent. Plus grave, on compte parmi les participants au trafic des fonctionnaires muséaux qu’appâtent le gain et sa facilité».

Un bien culturel volé est une âme de perdue, souligne le rapport. Il importe donc de «mettre en place des stratégies pour lutter contre un trafic aux conséquences morales et sociales dévastatrices. L’UNESCO, l’ICCROM, l’ICOM, des ONG, de nombreuses conférences internationales ont déjà tiré la sonnette d’alarme et fait des recommandations. Il importe d’améliorer la législation et de renforcer les capacités des administrations chargées de la faire respecter, promouvoir une meilleure collaboration avec Interpol, élaborer des politiques d’information, d’éducation et de recherche afin de sensibiliser les populations et les décideurs à l’importance du patrimoine culturel, inventorier, documenter et gérer avec rigueur le patrimoine culturel, renforcer enfin le contrôle de la circulation des biens culturels».

Les pays africains ont certes beaucoup à faire, construire des routes et des écoles, lutter contre la misère et le sida, mais «ils oublient trop souvent que la culture est le socle des nations, qu’elle fonde l’identité des peuples, qu’elle permet aux gens de vivre ensemble. Les politiques culturelles sont ainsi lacunaires ou inexistantes. Manque bien souvent le cadre juridique où elles pourraient s’épanouir. Un effort au niveau du continent tout entier est indispensable». L’éducation joue un rôle primordial dans cette évolution.

Rubrique « Lu Pour Vous »

  29 août 2013

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