Soulé. F, IFRI, Paris, 2023, 32 p.
Dans l’introduction à cette étude, l’auteure dit ceci : « la problématique du développement numérique africain occupe une place de plus en plus importante dans les relations du continent avec ses partenaires stratégiques ».
Elle poursuit : «dans le processus de numérisation de l’Afrique, les infrastructures matérielles sont la première des priorités pour les pays : la plupart des données consommées sur le continent proviennent de l’extérieur. Pour pouvoir répondre à ses besoins en hébergement de données, l’Afrique aurait un besoin estimé à environ 700 centres de données pour soutenir une économie axée sur les données à mesure que le flux de données au sein du continent augmente ».
Les besoins en développement numérique sont nombreux en Afrique tant les disparités d’accès et de fiabilité des services sont élevées. En effet, « le manque d’accès à une source d’électricité fiable constitue un obstacle entravant l’accès à Internet : en 2016, on estime que 645 millions d’Africains n’avaient pas accès à l’électricité. En 2022, seuls 40% des adultes d’Afrique subsaharienne, étaient connectés à des services Internet mobiles. Dans les zones disposant d’une connectivité mobile, 44 % de la population n’est toujours pas connectée en raison du manque d’accessibilité financière ».
En outre, on estime qu’en 2022, « seuls 20 millions de foyers d’Afrique subsaharienne disposaient d’une connexion Internet filaire, les lignes d’abonnés ADSL étant le type d’accès le plus répandu. Les infrastructures de fibre optique sont également inégalement réparties sur le continent africain et sont davantage localisées dans les pays à forte économie comme l’Afrique du Sud et le Nigeria ».
Force est d’observer qu’une grande partie de la population africaine est exclue de l’économie numérique en raison du manque d’infrastructures physiques et/ou de la disponibilité limitée d’applications et de services numériques adaptés et abordables.
Or, malgré ces limites, « l’afflux d’entreprises étrangères dans le secteur des télécommunications en Afrique a coïncidé avec la révolution des télécommunications dans les années 1990, lorsque de nombreux pays africains ont libéralisé leurs secteurs des télécommunications et modernisé leurs infrastructures. L’arrivée de poids lourds mondiaux des télécoms, comme Ericsson, Siemens, Alcatel et Nokia dans un premier temps, et Huawei et ZTE dans un deuxième temps, a joué un rôle central dans la transformation de l’industrie des télécommunications en Afrique ».
Poussée par la téléphonie mobile et l’utilisation du haut débit (fixe et mobile) pour accéder à Internet, « l’Afrique a connu un développement rapide du secteur des télécommunications, et cette tendance devrait se poursuivre. Fin 2020, il y avait 495 millions d’abonnés mobiles en Afrique subsaharienne, soit 46 % de la population de la région, et ce chiffre devrait atteindre 615 millions d’abonnés d’ici 2025, soit l’équivalent de 50 % de la population de la région ».
L’auteure note d’un autre côté, que la Chine occupe une position centrale dans le développement des télécommunications, selon une logique d’offre et de demande. «Des fabricants d’équipements de télécommunications tels que Huawei, grâce à des prix compétitifs et de faibles coûts de production, des équipements et des solutions rentables, et l’accès aux subventions de l’État chinois, arrachent des parts de marché aux grandes entreprises non chinoises préétablies, telles qu’Ericsson, Alcatel, Nokia et Siemens ».
En outre, les financements et les entreprises chinoises telles que Huawei Technologies, ZTE et China Telecom sont déterminantes dans la construction et la modernisation des infrastructures de télécommunication : « les pays africains ont besoin de financement et d’expertise pour développer leurs secteurs des télécommunications et infrastructures numériques. En effet, l’offre des partenaires traditionnels n’est pas toujours à même de répondre aux besoins, selon les types de projet et son alignement ou non avec les priorités stratégiques des Occidentaux, ce qui pousse les acteurs africains à se tourner vers la Chine ».
La Chine à son tour, voit l’Afrique comme un partenaire numérique stratégique, lui offrant des opportunités pour les opérations mondiales de ses entreprises, pour l’acquisition de nouveaux marchés et de nouvelles technologies : « la place de l’Afrique devient d’autant plus stratégique que certaines entreprises chinoises perdent l’accès aux marchés développés comme l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni ».
Or, les tensions géopolitiques croissantes entre les « puissances numériques», dont principalement la Chine et les États-Unis, ont ajouté une nouvelle couche de complexité aux relations de l’Afrique avec ses partenaires extérieurs. « Ces rivalités mondiales ont des effets sur la manière dont les gouvernements choisissent leurs partenaires : elles constituent à la fois des contraintes et des leviers pour l’Afrique dans ses négociations partenariales pour le déploiement d’infrastructures numériques. Malgré des contextes locaux difficiles et des budgets restreints, les gouvernements africains s’efforcent d’oeuvrer à la réalisation d’objectifs nationaux ambitieux liés à la transformation numérique. À l’échelle locale et nationale, les acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux ont trouvé des moyens innovants d’appréhender les rivalités en mettant en place des stratégies de négociation spécifiques, en diversifiant les partenariats numériques et en créant des entreprises conjointes ».
Les entreprises chinoises continuent toujours d’être un choix fréquent pour les gouvernements et les entreprises africaines, car elles sont considérées comme des partenaires plus souples et flexibles lors des négociations : « la Chine, pendant les négociations, propose ainsi des délais d’exécution plus courts que les partenaires européens et américains. La Chine a également désormais accumulé des décennies d’expérience en Afrique grâce à des filiales locales bien établies, à l’image de celles de Huawei, sur le continent, ce qui facilite des engagements plus directs avec les partenaires africains. Cette implantation locale a permis aux entreprises chinoises de s’adapter plus rapidement aux contextes culturels, politiques, économiques et institutionnels dans différentes régions du monde, dont l’Afrique ».
Cela n’empêche pas l’auteure d’observer que « la montée des tensions internationales, notamment entre la Chine et les États- Unis, dans le domaine de la technologie a des impacts significatifs sur la conception et la négociation des contrats entre partenaires du développement, secteur privé et agences gouvernementales. Ces rivalités ont des répercussions qui se manifestent principalement sous deux formes : D’une part, par la formulation de requêtes par certains partenaires, dont les États-Unis, mettant en garde des pays africains contre l’achat et l’usage de technologies d’origine chinoise. D’autre part, par des injonctions à ne pas utiliser le matériel de certaines entreprises chinois comme Huawei sous peine de voir échouer toute candidature à des financements par des institutions comme l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) ».
Même si les États-Unis ont tenté d’amener certains pays à l’instar de l’Algérie et de l’Égypte, à cesser d’acheter des équipements numériques chinois, la compétitivité des prix des équipementiers TIC chinois, et l’accès aux prêts qu’ils offrent par l’intermédiaire des banques publiques chinoises, font que ces pays qui cherchent à étendre et à mettre à jour leur infrastructure numérique, n’ont souvent pas d’autre choix.
Rubrique «Lu Pour Vous »
18 juillet 2024