Boyer. R, Didier. M, La Documentation Française, Paris, 1998, 189 p.
Qu’est-ce que l’innovation ? S’interroge le rapport.
Plusieurs approches classiques de l’innovation peuvent être rappelées à ce propos, pour faire la part des définitions :
D’abord, l’innovation de procédé. Celle-ci associée à l’adoption de méthodes de production nouvelles ou sensiblement améliorées. «Ces méthodes peuvent impliquer des modifications portant sur l’équipement ou l’organisation de la production. Elles peuvent viser à produire des produits nouveaux ou améliorés, impossibles à obtenir à l’aide des installations ou des méthodes classiques, ou bien à augmenter le rendement dans la production de produits existants. Elles peuvent enfin conférer davantage de souplesse à la production, abaisser les coûts ou bien encore limiter les déchets, les atteintes à l’environnement, les coûts de conception des produits ou améliorer les conditions du travail ».
Ensuite, l’innovation radicale et l’innovation incrémentale. Quand il s’agit de la conception de produits très largement nouveaux, on parle d’innovation radicale de produit. Quand il s’agit de l’amélioration des performances de produits existants, on parle d’innovation progressive de produit ou d’innovation incrémentale.
Il y a ainsi innovation radicale de produit «dans le cas d’un produit dont l’utilisation prévue, les caractéristiques de performance, les attributs, les propriétés de conception ou l’utilisation de matériaux et de composants présentent des différences significatives par rapport aux produits antérieurs ».
De telles innovations peuvent faire «intervenir des technologies radicalement nouvelles ou bien reposer sur l’association de technologies existantes dans des applications complètement nouvelles. Les premiers microprocesseurs ou magnétoscopes étaient des innovations radicales, le walkman est une innovation progressive, car il associe des technologies existantes dans une fonctionnalité nouvelle ».
Il y a innovation progressive de produit dans le cas où «un produit existant voit ses performances sensiblement augmentées ou améliorées».
Il faudrait préciser, note le rapport, que le caractère radical ou progressif de l’innovation n’est pas nécessairement lié à l’ampleur ou la nature des conséquences qui peuvent en résulter pour l’entreprise : «une innovation radicale peut entraîner un déséquilibre majeur voire une menace pour l’entreprise, alors qu’une innovation progressive peut être source de profits importants ».
Enfin et en somme, l’innovation est un concept large. Et en cela, il «dépasse les aspects strictement techniques et recouvre le changement organisationnel, commercial, voire financier…On considère généralement que les modifications techniques mineures ou esthétiques apportées à un produit (différenciation du produit) ne constituent pas une innovation de produit si les changements apportés ne modifient pas notablement les performances, les propriétés, le coût ou l’usage des matériaux et des composants d’un produit ».
L’on ajoute assez souvent aux deux types d’innovation, deux autres types de nature particulière : les «nouveaux systèmes technologiques» et les «technologies génériques diffusantes». Les nouveaux systèmes technologiques sont des ensembles d’innovations liées dans un système cohérent. Les technologies génériques sont des innovations diffusant leurs effets sur un grand nombre de secteurs économiques, par exemple l’informatique.
Dans le modèle traditionnel, l’innovation était conçue comme un processus linéaire : « au départ se trouve la recherche. De la recherche naît l’invention. L’invention engendre ensuite l’innovation. Enfin, l’innovation se diffuse et conduit à de nouveaux produits et de nouvelles techniques ».
Il y aurait donc une succession linéaire d’événements sans retour ni rétroaction. Dans cette analyse, «renforcer l’innovation passe ainsi nécessairement par une augmentation de l’effort de recherche ».
C’est en se référant à ce modèle linéaire que la politique industrielle a souvent confondu la recherche avec l’innovation. Or innovation et recherche sont des notions différentes : « la recherche est l’affaire des scientifiques, l’innovation celle des entrepreneurs ». L’innovation va ainsi au-delà de la recherche. Elle a ses lois et ses déterminants qui relèvent non seulement des marchés mais aussi des laboratoires.
Dans le modèle dit interactif, l’innovation n’est pas une succession de phases isolées, mais «un aller-retour permanent entre des possibilités (offertes par la technologie ou le marché) des moyens et des stratégies. Des possibilités nouvelles peuvent par exemple découler de l’évolution de la structure de la demande ou du cycle des produits ou de nouveautés scientifiques ou technologiques. Le processus d’innovation dépend de la façon dont les entreprises reconnaissent l’existence de ces possibilités et y réagissent par des stratégies de produits ».
L’innovation est donc conçue comme «une interaction entre, d’une part, les possibilités offertes par le marché et, d’autre part, la base des connaissances technologiques et les moyens dont dispose l’entreprise ».
Le rapport précise d’un autre côté, que la théorie de la croissance a été dominée pendant trente ans par le modèle de Solow, selon lequel «à long terme, le rythme de croissance se fixait en fonction de l’intensité du progrès technique, considéré comme autonome, et des tendances de la population active supposées elles aussi exogènes ». Les premières études empiriques menées sur les États-Unis, par Solow lui-même, conclurent que le changement technique expliquait plus de la moitié du rythme de croissance.
Or, depuis le milieu des années quatre-vingt, les économistes se sont intéressés à nouveau aux relations entre l’innovation, la croissance et l’emploi, afin de renouveler la compréhension que livrait le modèle initial, celui de Solow, les prédictions de ce modèle souffrant de quelques lacunes majeures.
En effet, l’on estime qu’ « à long terme, la croissance s’avérait totalement exogène, puisque ne dépendant que d’une évolution réputée autonome du changement technique, source d’amélioration de la productivité globale des facteurs, et des tendances de la population active, elles-mêmes réputées indépendantes de l’activité économique ».
Cette anomalie a suscité un regain de recherche sur les déterminants de la croissance, qui intervient au milieu des années quatre-vingt avec la publication d’une série d’articles qui font de l’innovation le cœur de la croissance.
L’on considère de plus en plus que «l’innovation devient endogène au sens où les entreprises évaluent la rentabilité attendue de l’innovation par rapport à une production traditionnelle et arbitrent entre, d’une part, l’embauche d’opérateurs chargés de la production courante, d’autre part, celle de scientifiques et d’ingénieurs afin qu’ils élaborent de nouveaux procédés et/ou de nouveaux produits. Ce choix dépend entre autres facteurs du taux d’intérêt, de la plus ou moins grande probabilité d’obtention d’innovations et de la taille de la population, et donc du marché potentiel ».
Dans le même temps, les innovations aboutissent à des connaissances nouvelles qui favorisent à leur tour l’obtention d’autres procédés et produits : « la croissance dérive précisément des externalités qui sont ainsi créées de l’interaction entre processus d’innovation décentralisés ».
L’on estime que les innovations tendent à se concentrer selon des technologies et des formes d’organisation complémentaires de sorte que « la plupart des phases longues de croissance ont eu pour origine une percée radicale, ou à défaut majeure, de produits et technologies génériques : la machine à vapeur, le moteur électrique, l’automobile…etc. et de nos jours les technologies de l’information ».
Mais, du fait de la variété des paramètres qui caractérisent chaque économie nationale et son ouverture aux flux des connaissances et des échanges de produits, «les pays ne convergent plus nécessairement vers le même rythme de croissance à long terme, d’où une variété de trajectoires de croissance ».
Rubrique «Lu Pour Vous »
4 juillet 2024