O’Neil. C, Ed. Les Arènes, Paris, 2018, 235 p.
Les publicités prédatrices constituent un cas d’étude exemplaire. Elles s’attaquent avec une ampleur phénoménale aux plus désespérés d’entre nous. «Elles génèrent par leur action, de gigantesques et abominables boucles de rétroaction, et laissent leurs clients sous des montagnes de dettes. Du fait de l’opacité des campagnes, leurs cibles n’ont en outre quasiment aucune idée de la manière dont elles se font escroquer».
Ces publicités surgissent assez souvent sur l’écran de l’ordinateur, suivies plus tard d’un contact téléphonique. «Les victimes apprennent rarement comment elles ont été choisies, ou comment les recruteurs sont parvenus à en savoir autant sur elles».
Les publicitaires prédateurs ciblent chaque jour, des millions de personnes. L’ignorance du client représente bien entendu une pièce cruciale du puzzle.
Une fois l’ignorance de la cible établie, «la clé pour le recruteur, à l’instar du marchand de potions miracles, consiste à repérer les gens les plus vulnérables et à exploiter à leurs dépens leurs informations personnelles. Il faut découvrir ce qui les fait le plus souffrir…et le point de douleur. Il pourra s’agir d’un manque d’estime de soi, de l’angoisse d’élever ses enfants dans un quartier où des gangs rivaux se font la guerre, ou peut-être d’une addiction à la drogue».
Ainsi, le premier clic d’un étudiant potentiel sur le site Internet d’une université à but lucratif intervient uniquement après qu’un vaste processus industriel a préparé le terrain. Le Corinthian College par exemple, «possédait à titre d’exemple une équipe marketing de trente personnes, qui dépensait chaque année 120 millions de dollars, dont une bonne partie servait à générer et approfondir 2,4 millions de contacts, débouchant sur l’inscription de 60 000 nouveaux étudiants pour un chiffre d’affaires annuel de 600 millions de dollars».
Ces énormes équipes marketing «approchent les étudiants potentiels par le biais d’un large éventail de canaux (publicités télévisées, panneaux en bord de route et sur les abribus, publipostages, liens sponsorisés sur Google, voire visites de recruteurs dans les écoles et prospections en porte à porte. Un analyste de l’équipe conçoit ensuite diverses offres promotionnelles avec comme but explicite d’obtenir un retour».
Pour optimiser le recrutement, et donc le chiffre d’affaires, il doit savoir qui a reçu ses messages et, si possible, l’impact qu’ils ont eu. Ce n’est qu’au moyen de ces données qu’il peut ensuite optimiser le dispositif.
L’élément clé de tout programme d’optimisation consiste naturellement à se fixer un objectif. Dans le cas d’usines à diplômes comme l’université de Phoenix, «on peut dire, sans trop s’avancer, qu’il s’agit de recruter le plus grand nombre possible d’étudiants susceptibles de décrocher un prêt d’État pour couvrir l’essentiel de leurs frais de scolarité. Avec cet objectif en tête, les experts en données doivent trouver le moyen de gérer au mieux leurs différents canaux de communication, afin qu’ils produisent tous ensemble un bénéfice maximal pour chaque dollar investi».
Dès lors que ces campagnes ont basculé sur Internet, l’apprentissage s’en est trouvé accéléré. Le Web offre aux annonceurs le plus grand laboratoire de tous les temps pour l’étude des consommateurs et la production de contacts.
Pour élaborer des modèles statistiques reliant causes et effets, «un programme de machine learning aura souvent besoin en revanche de plusieurs millions ou milliards de données distinctes». Mais avec Internet, «les gens ont produit aux quatre coins de la planète, des millions de milliards de mots, évoquant leur vie, leur travail, leurs achats et leurs liens d’amitié. Sans le vouloir, nous avons ainsi créé pour le traitement du langage naturel, le plus vaste corpus d’entraînement jamais vu».
Rubrique «Lu Pour Vous»
23 novembre 2023