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«Conditions pour le développement numérique des territoires»

Marcon. A, CESE, Paris, février 2009, 114 p.

En introduction à ce rapport sur le numérique en France, l’on lit : «la révolution numérique ne remonte même pas à 20 ans. Le secteur des télécommunications a été ouvert à la concurrence le 1er janvier 1998. En 2000, les opérateurs avaient déjà investi en fibre optique, technique la plus performante, le long des voies ferrées, des autoroutes et des voies navigables ainsi que dans les quartiers d’affaires des grandes agglomérations, privilégiant les relations entre Paris et les métropoles régionales au détriment du reste du territoire. Dans les petites et moyennes agglomérations, internet n’était alors diffusé que par le réseau téléphonique commuté avec des débits très faibles».

En 2000 également, «le développement des techniques haut débit n’en était qu’à ses débuts. Quant aux mobiles, la couverture territoriale était très inégale et si la 3ème génération, permettant des débits élevés et l’accès à internet, faisait son apparition, sa mise en place n’était espérée qu’à l’échéance 2004».

Depuis, l’utilisation des technologies numériques se développe de façon très rapide et exponentielle. Car, «la disponibilité technologique crée sa propre demande et les outils qui en permettent l’accès sont passés en quelques années du statut de produits de luxe à celui de produits de première nécessité».

De ponctuel, l’usage des technologies de l’information et de la communication est devenu, estime le rapport, «si fondamental dans nos modes de vie, notamment grâce à l’interactivité générée, qu’il se répercute même, jusqu’à profondément les modifier, sur nos modes de réflexion, d’action et de communication».

Il est donc bien malaisé, note le rapport, d’augurer les usages de demain et par conséquent, les besoins du futur tant ils peuvent être inattendus, voire inenvisageables avec les techniques disponibles à un moment donné. Il est en revanche possible d’entrevoir, au-delà de l’existant, nombre d’usages futurs. Ce qui est sûr, «c’est que l’ensemble des acteurs sont concernés et que tous exprimeront dans les années à venir des besoins croissants nécessitant des équipements performants. Ce qui est vrai également, c’est que la prolifération des ondes porteuses de la voix, de l’écrit et des images amène la population à s’interroger sur les risques éventuels en termes de santé».

La pénétration des TIC dans la vie économique et sociale, n’a pas conduit à une définition claire du haut débit. L’on s’y perd dans les offres des opérateurs et les débits proposés. Une définition attachée à une technologie rencontre aussi des limites. «Pour les ménages et beaucoup de petites entreprises, l’important est d’avoir une connexion internet en bon état de marche. Les qualités intrinsèques de la ligne tout comme le niveau d’équipement des centraux téléphoniques sont les premiers facteurs qui influencent la vitesse de connexion. Ainsi, face aux usages croissants, basés sur les données, le son, la vidéo et avec des contraintes d’interactivité et d’usages multiples simultanés, les réseaux de communication électroniques sont déterminants par la vitesse de transmission du débit utile qu’ils peuvent offrir».

Tel qu’il apparaît aujourd’hui, le haut débit est généralement assimilé à l’ADSL. Or, «si cette technologie a permis à 95% de la population d’avoir une connexion permanente et forfaitisée à l’internet, elle n’a pas capacité à garantir une demande de haut débit localisée à plus de quelques kilomètres d’un répartiteur téléphonique, et en aucun cas elle ne permettra l’instauration du très haut débit qui, demain, constituera la norme d’accès aux TIC».

Le déploiement du haut débit en France, laissé dans un premier temps à l’initiative presque exclusive des opérateurs privés, n’a pas suffi, estime le rapport, à couvrir le territoire de façon complète et homogène. «L’apparition d’une fracture numérique, à la fois territoriale et sociale, a fait de ce phénomène un enjeu incontournable d’aménagement du territoire, justifiant, voire nécessitant, une intervention publique forte. Cette intervention est aujourd’hui d’autant plus nécessaire que la fracture risque de s’aggraver. En effet, alors que la fibre optique autorisant le très haut débit et donc l’accès à des services performants, sera bientôt disponible dans la plupart des grandes agglomérations, les populations de nombreuses zones moins denses devront encore longtemps se contenter de faibles débits».

A travers la réduction de cette fracture, l’objectif est de «promouvoir le développement économique des territoires par une politique de solidarité nationale, territoriale et sociale».

Depuis l’émergence des TIC, observent les rapporteurs, «les gouvernements successifs ont rarement anticipé la croissance des besoins et les évolutions technologiques qui leur sont liées. De ce fait, ils ont peiné à orienter et encadrer le déploiement des réseaux. Des dispositions législatives et réglementaires n’ont été prises que récemment pour donner aux collectivités territoriales des moyens d’intervenir en vue d’accélérer l’équipement des territoires. Quant au plan France numérique 2012, il est le premier à appréhender la question des communications électroniques de façon globale».

Par ailleurs, depuis l’avènement du numérique, les collectivités territoriales tentent de pallier les insuffisances de l’initiative privée. La loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique du 21 juin 2004 leur permet désormais de le faire en toute légalité, car elle leu permet de :

 °- établir et mettre à disposition des infrastructures et des réseaux de communications électroniques (équipements passifs) par exemple en louant des fourreaux, pylônes, câbles en fibre optique...,

°- établir et exploiter des réseaux de communications électroniques (activité d’opérateur d’opérateurs) par exemple en vendant à des opérateurs des services en gros,

°- fournir directement des services aux utilisateurs finals après constat d’insuffisance des initiatives privées (activité d’opérateur de services),

°- lorsque les conditions économiques ne permettent pas d’assurer la rentabilité de l’établissement d’un réseau, mettre à disposition leurs infrastructures à des prix inférieurs aux coûts réels ou compenser des obligations de service public en accordant des subventions.

Il aura fallu plusieurs années pour reconnaître aux collectivités le droit de devenir opérateurs de réseaux, voire de services et fixer un cadre législatif à leurs interventions. Bien évidemment ces dispositions n’ont pas de caractère contraignant et ne sont d’ailleurs assorties d’aucune incitation particulière à agir.

Sur un autre plan, le rapport note qu’en échangeant en permanence des courriers électroniques, en créant des blogs, des tv web, et en participant à des communautés d’intérêts qui dialoguent (voire en rejoignant des communautés totalement virtuelles), de passif l’utilisateur est devenu actif et créateur du réseau, le démultipliant à l’infini. Le téléphone portable est également désormais sorti de sa fonction initiale de communication vocale, rendant un nombre croissant des applications (photo, vidéo, télévision, Internet etc.) accessibles à tout moment, hors de chez soi.

En même temps, les TIC sont un outil puissant d’accès à l’éducation et au savoir. «Sous forme ludique, par le recueil d’informations variées sur une toile de couverture mondiale (que chaque internaute peut également alimenter de ses propres connaissances) ou de manière plus structurée, grâce à l’évolution des techniques d’enseignement à distance et/ou en réseaux (par exemple dans le cadre des Espaces numériques de travail - ENT), les premiers pas vers l’éducation interactive ont été franchis».

Pour les entreprises, accéder au haut débit pour communiquer en temps réel avec clients et fournisseurs est devenu un enjeu économique majeur aussi important que la desserte en infrastructures classiques de transport. Cet accès «conditionne de plus en plus l’installation des entreprises, quelle que soit leur taille, sur un territoire. Les besoins sont bien sûr différents selon la nature de l’activité exercée mais ils émergent dans toutes les fonctions classiques : production, suivi de commandes, catalogue des produits, livraisons …etc».

Pour certaines entreprises, la performance des outils de télécommunications est déterminante pour la conception des produits, d’autres ont besoin de débits élevés pour gérer leur chaîne d’approvisionnement. Parmi les PME, celles qui ont besoin d’Internet à haut débit sont celles qui manipulent des fichiers très volumineux (graphiques, images 3D etc.). On constate donc que le taux de connexion au haut débit augmente avec la taille de l’entreprise.

De même, «l’État et ses services déconcentrés utilisent de plus en plus les TIC, en diffusant des informations sur des portails et en multipliant les possibilités d’accomplir par voie électronique, des démarches administratives telles les formalités de sécurité sociale, les déclarations et paiements de l’impôt, les copies d’état civil etc. Les collectivités territoriales y font également appel pour leur gestion interne et dans leurs relations avec les administrations et les partenaires privés (passation de marchés publics, comptabilité publique, contrôle de la légalité, etc.). Elles offrent au public des informations culturelles, touristiques, économiques, administratives sur leurs territoires. Les TIC rendent le citoyen plus proche des services publics et aident ainsi à la cohésion sociale».

C’est pour dire, note le rapport, que dans le secteur des TIC, «les besoins se découvrent à mesure que les techniques rendent possibles certaines utilisations, par exemple, l’explosion des SMS fut une véritable surprise. Il n’existe pas une application particulière justifiant à elle seule une augmentation des débits de connexion. C’est l’agrégation des usages qui conduit à des besoins sans cesse croissants. Les usages acquis doivent donc bien être différenciés des usages à développer, et ce sont ces derniers qui doivent servir de référent pour promouvoir les réseaux. C’est la disponibilité du haut débit qui génère et accélère les usages avancés et non l’inverse».

Si le débit offert par l’ADSL permet les usages actuels, le très haut débit permet d’envisager des applications nouvelles, fortement multimédias et interactives. «Les volumes de données augmentent, en raison d’éléments multimédia (son, vidéo, TV en trois dimensions) de plus en plus nombreux, les applications interactives en temps réel se multiplient, pour le grand public (téléphonie sur IP, sites web interactifs...) et pour les professionnels (santé, télétravail...). Les échanges sont plus volumineux, mais exigent aussi d’être plus rapides. La disponibilité du très haut débit est par ailleurs un facteur d’innovation : l’augmentation des débits disponibles permet la création de nouveaux services, inconcevables avec une connexion limitée à quelques mégabits par seconde. Ce faisant, cette évolution requiert une forte harmonisation, un meilleur contrôle de la sécurité des réseaux, de la protection des données et de la qualité de service».

Pour le fournisseur de services, l’investissement dans l’infrastructure du réseau est d’autant plus justifié que les services (donc les revenus) véhiculés sont plus nombreux. La convergence efface les frontières entre les mondes de l’informatique, des télécommunications et de l’audiovisuel : la convergence entre la téléphonie et l’accès à Internet à domicile, matérialisée par la téléphonie sur IP, fait s’effondrer le modèle traditionnel de la téléphonie fixe.

Or, malgré les possibilités offertes par les NTIC, des pans entiers de territoires (généralement sous forme de nombreuses zones morcelées) restent, selon le rapport, mal desservis et leurs habitants ne disposent pas d’un débit leur permettant un accès à l’ensemble des services liés au haut débit.

«Si 98,3% de la population est censée avoir accès au haut débit (ADSL), les situations restent très inégales, en raison des disparités dans les débits réels consécutives notamment aux contraintes physiques des réseaux cuivre. Selon la localisation de l’abonné et le moment, les débits peuvent varier de 512 kbit/s à 20 Mbits/s, et certains services ne pas être offerts faute de débit suffisant, notamment le triple play…Comme le souligne le Sycabel, 10% de la population ne reçoivent encore que des débits inférieurs à 2 Mb/s et 55% n’ont pas accès au triple play à 10 Mb/s», et si rien n’est fait dès maintenant, le très haut débit ne concernera que 40% de la population française en 2020. Les zones peu denses se trouveront confrontées à des problèmes identiques à ceux qu’elles ont connus pour leur couverture en haut débit, ce qui créera une nouvelle fracture numérique».

C’est dire que le jeu du marché n’a pas permis de parvenir à une couverture totale et équilibrée du territoire, que ce soit pour le haut débit ou pour le réseau de téléphonie mobile. Les opérateurs ont privilégié les zones les plus denses où le retour sur investissement est garanti. C’est aujourd’hui dans les zones urbaines que de la même façon ils déploient la fibre optique.

De ce fait, il n’existe pour les opérateurs aucune obligation en termes d’aménagement du territoire à l’égard du haut débit et encore moins pour le très haut débit. En outre, si, «pour les mobiles et les réseaux radio, l’attribution des licences permet d’inclure des exigences de couverture, ce levier n’existe pas pour les réseaux fixes».

Le déploiement du haut débit puis du très haut débit constitue, selon les rapporteurs, un enjeu national au même titre que l’électrification ou le téléphone. Il concerne tous les territoires. C’est pourquoi l’intervention des pouvoirs publics s’impose.

Le premier enjeu est «d’anticiper les besoins croissants et nouveaux des populations comme des entreprises pour optimiser un développement économique et social équilibré de tous les territoires. L’ère numérique introduit des évolutions importantes dans le fonctionnement des entreprises au quotidien : leur organisation en réseau (communautés d’intérêt économique ou social, clusters) ou leur accès au marché international via internet. L’absence d’accès au haut débit dans des conditions financières acceptables devient un handicap qui ira croissant pour celles qui en seront durablement privées».

Il s’agit ensuite «d’accompagner l’évolution des modes de vie en élargissant la liberté de choix des populations en matière de formation, de santé, de culture ou d’échanges collectifs sur des sujets variés, matériels ou immatériels, que les personnes soient ou non en activité. Le développement des TIC favorise l’accès à la connaissance et participe à l’amélioration de la vie quotidienne des particuliers : télétravail, démarches à distance (e-administration), achats en ligne, maintien et soins à domicile etc».

Le troisième enjeu est «d’utiliser au plan français toute la ressource rare (en Europe) qu’est le territoire national dans sa diversité géographique. Il s’agit, à tous les niveaux géographiques, d’intégrer les réseaux de communications électroniques dans des schémas d’urbanisme et d’aménagement du territoire appropriés. C’est dans le cadre d’une politique d’urbanisation numérique du territoire que doivent être mises en oeuvre les solutions pour résoudre la fracture numérique sous tous ses aspects : géographique, technologique, sociale, culturelle ou générationnelle».

Le secteur des communications électroniques est soumis à la concurrence. Les opérateurs privés ont un rôle majeur à jouer. Mais avec la nécessaire montée en débit des territoires et la mise en place d’une boucle locale optique, l’intervention publique, tant de l’État que des collectivités territoriales, devient encore plus indispensable. Dans ce contexte, l’action des uns et des autres doit être guidée par trois principes directeurs :

- coordination pour une plus grande cohérence des actions,

- coopération et mutualisation pour un partage des coûts,

- péréquation pour un développement équilibré et équitable.

Ces mesures, «visant à déployer rapidement, partout et à des coûts abordables, des réseaux haut et très haut débit sont non seulement susceptibles de dynamiser une croissance aujourd’hui fragilisée, mais contribueront aussi à donner à tous les territoires, denses et moins denses, les moyens de leur développement et à l’ensemble de leurs habitants les chances d’une meilleure qualité de vie».

Rubrique « Lu Pour Vous »

30 septembre 2010

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