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«La crise financière et bancaire en Irlande»

Humbert. J. F, Rapport, Sénat, Paris, décembre 2010, 31 p.

1- La croissance irlandaise de la période 1992-2006 est le fruit d'une stratégie en solitaire au sein de l'Union européenne, note l’auteur en préambule à ce rapport. «Bénéficiant des fonds de celle-ci en matière de cohésion jusqu'en 2004, elle a reçu entre 1973 et 1999 une aide équivalente à cinq fois sa contribution au budget européen et pu financer ainsi en partie la modernisation de ses structures».

Le taux de l’impôt sur les sociétés est, pour lui, le symbole de cette course à la croissance en solitaire. «Fixé à 20% dans les années 90, puis à 16% en 2002, il s'élève à 12,5% depuis 2003, alors que la moyenne européenne est de 27,5%... Il s'ajoute à un taux réduit d'imposition des bénéfices pour les entreprises exportatrices, fixé à 10%».

Combinée à un code des investissements extrêmement favorable, cette fiscalité avantageuse a fait, selon l’auteur, de l’Irlande un territoire attractif et ouvert, drainant plus de 110 milliards d’euros d’investissements directs étrangers pour la seule année 2009, et amenant les plus grandes multinationales à s’y installer pour y employer plus de 240 000 personnes, dont 110 000 au sein des seules entreprises américaines, à l’instar de Google, Microsoft, Twitter, Intel ou eBay. L’Irlande est de fait devenue la porte d’entrée en Europe de la Silicon Valley: 20% des emplois dans le pays découlent la présence de ces entreprises sur le territoire irlandais.

Modèle de discipline budgétaire, l’Irlande, note-t-il, est rapidement devenue un exemple pour les pays d’Europe centrale, impressionnés par cette croissance rapide qui en fait en quelques années un des pays les plus riches des Vingt-Sept.

Les banques sont au coeur de cette transformation d’une terre rurale en une nation entièrement dévolue au secteur tertiaire, le secteur financier irlandais étant organisé en oligopole : trois grandes banques de détail (l’Anglo Irish Bank, l’Allied Irish Bank et la Bank of Ireland) et deux caisses hypothécaires se partagent l’essentiel d’un marché domestique de 4,4 millions d’habitants.

2- Cumulant parfois les fonctions de gestionnaires de fonds et de promoteurs, les établissements bancaires ont été, par ailleurs, les moteurs de la bulle immobilière qui s’est alors créée, faisant grimper artificiellement les prix, 17% des revenus de l’État allant alors provenir de l’immobilier, limitant de facto toute tentative de régulation de la part des autorités.

Mais la crise financière mondiale est cependant venue, observe l’auteur, montrer la fragilité de ce tropisme immobilier. «L’augmentation des taux a rendu difficile l’issue pour les banques de se refinancer. La baisse des prix de l’immobilier, commercial comme d’habitation, a par ailleurs directement frappé leurs actifs. Les prix sont en effet revenus au niveau de 2002».

Liée au ralentissement de l’activité dans le secteur du bâtiment l’augmentation du chômage renforce ce phénomène tout en creusant les déficits publics. «Le surendettement de nombreux foyers, facilité par l’octroi de centaines de milliers de crédits hypothécaires (la durée de remboursement des prêts peut aller jusqu’à cinquante ans) est également un élément déterminant dans cette crise bancaire» : l’endettement des ménages, évalué à 160 milliards d’euros, représente pratiquement 100% du PIB, d’autant que le gouvernement a pris soin, à l’automne 2008, de garantir l’ensemble des dépôts et des prêts octroyés par les établissements bancaires, soit un engagement de 480 milliards d’euros, trois fois le produit intérieur brut local.

Avec l’effondrement du marché immobilier, les banques irlandaises se sont donc trouvées confrontées à un double problème, note le rapport: un défaut de solvabilité suivi d’un manque de liquidités.

Pour faire face à ce problème de liquidités, la Banque centrale européenne a injecté au sein du système bancaire 165 milliards d’euros depuis le début de la crise. Mais le gouvernement irlandais se retrouve également confronté à un problème de liquidité. «Ses investissements massifs dans le secteur bancaire conjugués aux diminutions de recettes liées à la crise ne lui permettent plus de disposer de liquidités suffisantes au-delà du premier semestre 2011».

3- L’intervention européenne et celle du Fonds monétaire international, sont vécues comme une atteinte à l’indépendance nationale. C’est la raison pour laquelle, l’annonce d’un plan de rigueur dans la foulée de l’appel à l’aide européenne a été assez mal vécue, la dureté du plan pouvant apparaître comme dictée par les instances internationales.

Mais cette dureté peut laisser songeur tant il fait porter sur le citoyen le coût de la faillite du système bancaire. Entièrement consacré à la recherche de nouvelles recettes, ce plan ne prévoit pas, pour autant, «d’actionner le levier de l’imposition sur les sociétés, fût-ce de façon modérée», l’avantage comparatif lié à la fiscalité étant considéré comme un élément fondamental de l’identité nationale irlandaise à l’heure de l’intégration européenne.

Au delà de ceci, l’auteur note que la spécificité de la crise irlandaise est qu’elle reste, malgré cela, une crise essentiellement bancaire. «A la différence d’autres pays de la zone dite périphérique, notamment l’Espagne et le Portugal, l’Irlande dispose encore de relais de croissance et ne souffre pas d’un déficit de compétitivité», la banque mondiale classant l’Irlande parmi les dix meilleurs pays au monde pour la facilité à exercer des activités commerciales, et le pays se classe au deuxième rang européen en ce qui concerne la productivité et la flexibilité.

Ainsi alors que la consommation devrait diminuer d’environ 4% en 2011 en raison, notamment, des mesures d’austérité adoptées depuis trois ans, le secteur des exportations est le seul estimé à la hausse (environ 5% en 2011). Seules les exportations, générées pour l’essentiel par les compagnies étrangères (88%), devraient permettre une reprise de la croissance.

«Cette bonne tenue des exportations devrait permettre à l’Irlande de retrouver le chemin de la croissance et à l’horizon 2013-2014 d’observer une réelle reprise de la consommation».

Rubrique « Lu Pour Vous »

3 mars 2011

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